Chapitre 6

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J'étais revenue en coup de vent l'après midi, Terracid était encore actif, à l'opposé de Laink qui n'était pas réapparu depuis cette crise soudaine de jalousie. J'avais un pincement au cœur, un peu d'appréhension, qu'il nous en veuille longtemps. J'avais déjà ma petite idée du temps requis, mais Terracid serait forcément bien mieux placé. Ils sont amis depuis des années, se connaissent réellement, et ont pas mal de délires ensemble. Alors que moi, moi, j'ai pas grand chose à mettre sur la balance, histoire de faire contre-poids. Alors, durant mon passage rapide, j'ai juste espéré qu'il m'envoie un message. Mais impatiente de nature, je lui ai envoyé un bref message.

Après, j'ai mis mon téléphone de côté et ai passé mon après-midi aux côtés de mes amis, tiraillée entre les cours et les loisirs. Je me suis sentie bien avec eux. Tous incrustés chez ma meilleure amie, l'ambiance était chaleureuse. En fait, ma meilleure amie a toujours été ma seule amie de sexe féminin. Au collège, je n'avais qu'elle. Et au lycée on s'est fait une pelleté d'amis, mais tous masculins. Certains incrusteurs datent de cette période plus insouciante que les autres. Pour moi, en tout cas. Autour d'une table, nos feuilles de cours éparpillés et évidemment mélangées les unes aux autres occupent le bout de bois. Mon amie et moi nous faisons face, les garçons nous séparant.

Nous sommes cinq, réunis près de la table. D'autres électrons libres moins sérieux, ou juste détachés de l'Université, de vieux amis de lycée dans ce cas-là​, parlent de choses typiquement masculines dans le couloir. Beaucoup de personnes dans un petit studio situé au centre de Lyon. Je n'ai jamais aimé les grandes villes. Par le passé, j'habitais plus dans le sud, mais préférant le froid à la chaleur, contrainte de quitter mon département d'origine pour l'Université, d'un commun accord, nous avons décidé avec ma meilleure amie d'aller à Lyon. Continuer nos études, alors que nous avons 24 ans, c'est pesant. Chaque année cettains de nos amis décrochent par manque de motivation, ou juste par envie de changement, envie de vie professionnelle. Chaque rentrée de septembre, nous nous jurons que c'est la dernière année. Mais on craque.

C'est ma façon de me faire pardonner auprès de Thomas. Une excuse valable de dire "Tu vois, j'ai arrêté de te parler pour les cours, mais là, mes résultats scolaires sont excellents, et je suis en université." Les études sont ma drogue. Quelque chose auquel je me rattache, un but. Ma séparation avec ma famille pour les études m'a brisée. Rester avec Laëtitia est une chance, que je ne saurais ignorer. Même si nous avons décidé de garder nos distances, avoir chacune notre propre appartement. Même si nos rencontres masculines nous ayant touché, j'ai fini par craquer et accepter une collocation avec l'un de ces garçons. Choix illogique en sachant que ma meilleure amie et moi, on a tout traversé ensemble.

Nos amis de lycée retrouvés dans cet appartement sont des voyageurs. Nous sommes les seules de nos connaissances à avoir fait un tel chemin pour une université. Les seules du lycée dont nous venons, donc. Refaire notre vie fut compliquée. Mais il faut croire que nous avons réussi, quelque part. Mon amie et moi nous regardions sans cesse, un vieux jeu datant du collège, compris exclusivement par nous. Les avantages de notre relation de longue date. Nous avons discuté pas mal de temps, jusqu'à ce que je me lève pour aller chercher un verre d'eau. Je me suis arrêtée devant le paysage urbanisé. Il était si beau. Et pour cause, mon amie avait eu la chance d'avoir été logée dans un appartement en plein centre, la chance d'avoir des parents qui passent derrière.

Un des garçons s'est approché​ de moi, et n'a pas manqué de me faire remarquer la couleur inquiétante des nuages. Curieuse, j'ai ouvert la fenêtre. J'ai soufflé, agacée. Il faisait lourd. L'air était propice à un orage. Quelque peu inquiète, j'ai préféré aller rassembler mes affaires. Expliquant la raison de ma fuite si soudaine. Je n'aime pas les orages, pas du tout. J'ai embrassé mon amie, l'ai serré du plus fort que j'ai pu, saluant rapidement les garçons par la même occasion. Et je suis partie. Comme une voleuse. Sur le chemin, le tonnerre n'a pas manqué d'exploser. J'ai sursauté. Terrifiée, j'ai pressé le pas jusqu'à l'arrêt des transports en commun le plus proche. Celui-ci est arrivé en retard, mais j'étais bien heureuse de m'engouffrer en son sein. Je me suis assise côté couloir aux côtés d'un adolescent. Le genre de personne assez facile à écarter de la classe adulte. Écouteurs vissés aux oreilles, téléphone collé aux mains, sac sur les genoux, fantôme d'une barbe sur le visage, quelques boutons par-ci par-là, et la voix cassée par la mue, certainement.

C'est le genre de jeu auquel j'aime bien m'adonner. Essayer de trouver l'âge de quelqu'un que je croise dans le bus. C'est une chose un peu curieuse dite comme ça, mais passer trois quarts d'heure aux côtés d'un inconnu, ça lasse. Alors pour rendre mes trajets plus joyeux et moins ennuyant, je fais ça. Ensuite, j'envoie un message à mon amie.

"Coucou, désolée d'être partie si précipitamment, mais je n'aime pas les orages​."

Quelques minutes ont suffit pour que mon téléphone vibre. Elle me disait que ce n'était pas grave​, et qu'elle comprenait. Mon arrêt fut passé, je suis sortie de l'appareil soulagée. J'ai finalement réussi à rentrer chez moi. Fatiguée, je me suis laissé tomber sur mon lit. Je pensais être seule, jusqu'à ce que j'entende quelqu'un toquer. J'ai ouvert les yeux, une ombre masculine se tenait sur le pas de ma porte. S'approchant, son visage s'est rendu plus visible.

« - Alors comme ça on est devenue mal-polie ?

- Je suis morte de fatigue, laisse-moi tranquille, s'il te plaît...

- Tu vas me faire croire que c'est l'orage approchant qui te vide de ton énergie ?

- Oui. Exactement. Maintenant barre-toi. »

Je lui ai jeté mon oreiller. Mais couchée, j'ai mal visé, il s'est presque immédiatement retrouvé par terre. Le garçon a quitté la pièce tout en se moquant. Et moi j'ai enfin pu fermer les yeux pour m'endormir aussi rapidement que deux et deux font quatre.

ErmiteWhere stories live. Discover now