K7 1 : FACE A (pt. 5)

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Je baisse les yeux vers la première étoile. C-4. Je vois où ça se situe. Mais est-ce une bonne idée ?
Je n'en croyais pas mes oreilles, Yoongi. Tu avais menti à ma mère.
Pourquoi étais-je si heureuse ?
- Non, dis-je. Je vais chez un copain. Pour son devoir d'histoire.
Parce que nos mensonges collaient. C'était un signe.
- D'accord, me lance ma mère. Je te garde ta part au frigo, tu n'auras qu'à la réchauffer en rentrant.
Elle m'a demandé quel cours nous avions en commun, et j'ai répondu maths, ce qui n'était pas totalement un mensonges. Nous avions cours de maths tous les deux. Mais pas en même temps. Et pas sur le même programme.
"Ça tombe à pic, m'a-t-elle rétorqué. C'est aussi ce qu'il m'a dit."
Je l'ai accusé de ne pas faire confiance à sa propre fille, je lui ai pris ton numéro des mains et j'ai grimpé les marches quatre à quatre jusqu'à ma chambre.
Je vais y aller. Je me rendrai à la première étoile. Mais avant cela, à la fin de cette face, je ferai un tour chez Namjoon.
Namjoon n'a jamais changé son autoradio, un vieux modèle qui ne lit que des cassettes. Ça lui permet de garder le contrôle de la musique. S'il emmène quelqu'un en voiture et que ce quelqu'un veut passer des CD, dommage pour lui. "Incompatibilité de format", répond Namjoon.
Quand tu as décroché, j'ai dit : "Yoongi ? C'est Mel. Ma mère m'a dit que tu avais appelé pour un problème de maths."
La voiture de Namjoon est une vieille Mustang héritée de son frère, qui l'avait héritée de leur père, qui l'avait lui-même sans doute héritée de son propre père. Au lycée, il existe peu d'histoires passionnelles comparables à celle existant entre Namjoon et sa caisse. Il s'est fait plaquer plus souvent pour cause de jalousie automobile que je n'ai embrassé de filles.
Tu étais un peu troublé, mais tu as fini par te souvenir du pipeau que tu avais raconté à ma mère et, comme un bon petit garçon, tu t'es excusé.
Namjoon n'est pas vraiment un ami proche mais nous avons déjà bossé deux trois fois ensemble sur des dossiers ou des exposés, si bien que je sais où il habite. Et surtout, il possède un vieux walkman à cassettes - jaune, avec de minuscules écouteurs en plastique - que je n'aurai sûrement aucun mal à lui emprunter. J'emporterai quelques cassettes avec moi, histoire de les écouter en me baladant dans l'ancien quartier de Mel, à guère plus d'un pâté de maisons de chez lui.
"Alors, Yoongi, et ce problème de maths ?" t'ai-je demandé. Tu n'allais pas t'en sortir comme ça.
À moins d'aller écouter les cassettes ailleurs. Dans un lieu intime. Parce que ici, impossible. Non pas que mes parents risquent de reconnaître la voix dans les haut-parleurs, mais j'ai besoin d'espace. De place pour respirer.
Tu m'as répondu au quart de tour. Tu m'as dit que le train A partait de chez toi à 15 h 45, et le train B de chez moi dix minutes plus tard.
Tu n'as rien vu, bien sûr, mais j'ai réellement levé la main comme si j'étais en classe et non assise sur mon lit. "Moi, moi, Mister Min ! J'ai la réponse !"
Quand tu as prononcé mon nom, "Oui, Miss Lynn ?", j'ai flanqué aux orties les précieux conseils de ma mère sur les filles inaccessibles.
Je t'ai répondu que les deux trains se retrouvaient au parc Eisenhower en bas du toboggan fusée.
Que pouvait-elle bien trouver à Yoongi ? Je n'ai jamais compris. Elle-même reconnaissait qu'elle ne savait pas trop. Mais pour un type au physique aussi quelconque, il a une nuée d'admiratrices.
Bon, il est plutôt grand. Et il doit leur paraître mystérieux. Il a toujours les yeux rivés vers la fenêtre, comme occupé à regarder ailleurs.
Il y a eu un silence de ton côté, Yoongi. Un long, très long silence. "Et en combien de temps les trains se retrouvent-ils ? m'as-tu demandé.
- Un quart d'heure."
Tu m'as répondu qu'un quart d'heure te semblait follement long pour deux trains lancé à pleine vitesse.
Oh là. Doucement, Mel.
Je sais ce que vous pensez. Mel Lynn n'est qu'une traînée.
Oups. Vous avez entendu ? "Mel Lynn est". On ne peut plus dire ça, maintenant.
Il y a une pause.
Je rapproche le tabouret de l'établi. À l'intérieur de la platine, derrière la paroi du boîtier en plastique fumé, les deux pivots font lentement défiler la bande d'un côté à l'autre. Un doux chuintement émane des haut-parleurs. Un souffle parasite, très léger.
À quoi pense-t-elle ? A-t-elle les yeux fermés ? Est-elle en train de pleurer ? Ou d'attendre, le doigt posé sur la touche STOP, de trouver la force d'appuyer dessus ? Qu'est-ce qu'elle fabrique ? Je n'entends rien !
Et bien, vous avez tout faux.
Sa voix est tendue par la colère. Presque tremblante.
Mel Lynn n'est pas, et n'a jamais été, une traînée. Ce qui m'amène à la question suivante : qu'avez-vous entendu dire sur moi ?
Un baiser, c'est tout ce que je voulais. Je n'étais qu'une lycéenne de première année qui n'avait pas encore connu de vrai baiser. Jamais. Mais je flashais sur un garçon qui flashait sur moi aussi, et j'avais envie de l'embrasser. La voilà, la vérité. C'est aussi simple que ça.
Quelle était la rumeur officielle, déjà ? Parce que j'avais entendu un autre son de cloche, en effet.
Les nuits précédant le jour de notre rendez-vous au parc, j'ai fait plusieurs fois le même rêve. Exactement le même. Du début à la fin. Et pour votre plus grand plaisir, chers auditeurs, je vais vous le raconter.
Mais d'abord, petite remise en contexte.
Dans la ville d'où je venais, il y avait aussi un parc possédant au moins un point commun avec celui-ci : le toboggan fusée. Sûrement le même modèle fabriqué par la même société, parce qu'il se ressemblaient comme deux gouttes d'eau. Même nez rouge pointant vers le ciel. Mêmes barres métalliques partant du sommet jusqu'aux ailerons verts qui le surélevaient au-dessus du sol. Et entre les deux, trois plate-formes, reliées par trois échelles. Au niveau supérieur se trouvait une roue de gouvernail et, au milieu, un toboggan descendant jusqu'au terrain de jeu.
Très souvent, le soir, en attendant le jour de la rentrée dans mon nouveau lycée, je grimpais au sommet de la fusée et je m'appuyais la tête en arrière contre la roue. La brise nocturne qui soufflait entre les barreaux m'apaisait. Je fermais les yeux, et je repensais à chez moi.
Je suis monté tout en haut, une seule fois, à l'âge de cinq ans. Je m'étais mis à hurler, à pleurer, je ne voulais plus redescendre. Mais mon père était trop corpulent pour se glisser dans les étages et il avait appelé les pompiers, qui avaient envoyé une femme me récupérer à l'aide d'une échelle. Ça ne devait être ni le premier ni le dernier incident de ce genre car, il y a quelques semaines, un communiqué de la mairie a annoncé le démontage du toboggan fusée.
Je crois que c'est la raison pour laquelle, dans mes rêves, mon premier baiser se déroulait toujours au pied de cette fusée. Elle m'évoquait l'innocence. Et c'est exactement comme ça que je me représentais mon premier baiser. Innocent.
Voilà pourquoi elle n'a pas mis d'étoile rouge dans le parc, j'imagine. La fusée sera sûrement démolie avant même que les cassettes n'arrivent au bout de la chaîne.
Bref, revenons à mes fameux rêves qui avaient commencé le jour où tu t'étais mis à m'attendre à la sortie de mes cours. Le jour où j'ai compris que je te plaisais.

À suivre... 💘

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 25, 2017 ⏰

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