LE NUMÉRO "223"

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Journal personnel du Dr. Noméd, le 24 mars 1921

Sitôt à son arrivée, j'ai saisi qu'il allait m'offrir ce que j'espérais... Il me faut simplement du temps, et m'aménager un espace de liberté que l'asile ne libère pas si facilement. Mais je saurai quoi faire ! L'occasion est trop belle, et bien trop synchrone avec mes dernières découvertes pour la laisser s'échapper. La science doit avancer ! Nul ne doit empêcher son évolution. Je m'en fais le serment ici-même.

A.N.

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Le 25 mars 1921

Fascinant. Tout simplement fascinant. Présentation sommaire du sujet 223 : homme caucasien, âgé d'environ 32 ans, mesurant aux alentours de 1m78, 64 kilos au 24/03. Le sujet 223 ne porte aucune blessure manifeste, ni souvenirs patents du conflit. Pourtant, l'hôpital militaire m'a clairement précisé que 223 était sur les premières lignes du front. Le plus surprenant encore, c'est qu'il en est toujours revenu...

223 a été transféré à l'asile suite à mon annonce dans la gazette des psychiatres de France. Un collège des bancs d'écoles s'est souvenu de moi et de mes recherches sur la mémoire. 223 étant saisi à l'hôpital militaire de Metz comme "classé", mes précédents l'ayant jugé en état de catatonie légère, fixant sa mise à pied.

Actuellement, 223 souffre d'amnésie lacunaire : aucun souvenir de quoi que ce soit au-delà de ses 25 ans ne tient, un vide s'est installé en lieu et place de la Grande guerre. A l'heure d'aujourd'hui, 223 est incapable de se situer, ou de situer sa place et position. Pour autant, 223 aurait développé un certain nombre de connaissances, notamment langagière : l'infirmière principale m'a rapporté que 223 exerçait une langue jamais entendue auparavant dans son sommeil.

223 sera placé sous surveillance nocturne. Je veux explorer ce vide qui s'est creusé dans son esprit pour en comprendre son fonctionnement, et mon intuition me dit que le sommeil du patient pourra m'être très utile...

A.N.

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Le 27 mars 1921

Les deux nuits d'observation ont porté leur fruit : il semblerait que le patient répète les mêmes mots incompréhensibles pour l'ouïe humaine. Un mélange immonde entre borborygmes gutturaux et son d'instruments désaccordés. J'ai beau m'y être moi-même rendu, rien de cohérent n'en ressort. Je compte dès ce soir employer d'autres moyens pour saisir les moindres syllabes de 223. J'ai décidé d'envoyer un courrier à mon collègue de Metz afin de vérifier à quand remonte ces élucubrations.

Par ailleurs, nous avons commencé le traitement de ce dernier avec la solution As-33 ; bien qu'expérimentale, les derniers essais sur les sujets 215 et 187 ne manquaient pas de résultats prometteurs. J'escompte que ce sérum puisse aider à un quelconque recolmatage de la mémoire de 223.

A.N.

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Le 31 mars 1921

Edmond m'a répondu plus rapidement que ce que je pensais. Sa lettre est brève, et ne fait qu'être d'autant plus excitante : « Cher confrère, je ne souhaite plus entendre parler de ce malheureux. Par égard pour nos souvenirs d'étudiants, je veux bien répondre à tes interrogations une dernière fois, en gage de promesse de ne plus communiquer sur lui.

Les premières déclarations nocturnes de monsieur Caron remontent à sa première hospitalisation, soit février 1916. Monsieur Caron est revenu plusieurs fois à l'hôpital, ce trouble ne disparaissant pas. Du reste, monsieur Caron a commencé progressivement à perdre l'usage de la parole lors de sa troisième hospitalisation, en août 1918, peu de temps après la fin de la Guerre. Monsieur est resté alors plus de deux mois dans un comas carus, nécessitant une surveillance approfondie malgré le peu de personnel médical. A l'issue des deux mois, monsieur Caron est tombé dans un coma dépassé de niveau 5 : il a été déclaré mort au 23 octobre 1918, 7h32. A 7h33, monsieur Caron a ouvert les yeux et s'est redressé sur son lit de mort, sans rien dire ou exprimer. Depuis, monsieur Caron n'a jamais rien dit, ni montré un quelconque signe de vie, hormis la nuit.

Un confrère anthropologue est parti étudier les rites vaudou en Haïti, et m'a décrit les traits et caractéristiques de ce qu'ils nommeraient "zonbi" en créole haïtien. Il est fort frappant de constater que les attraits de ces derniers correspondent tout à fait à monsieur Caron.

Méfie-toi, Archibald. Notre esprit n'est pas capable de surmonter toutes les formes d'aberrations que les mystères de ce monde nous réservent. Bien à toi, Edmond. »

Au-delà de l'excentricité de son courrier, je reconnais l'affaire comme d'autant plus extraordinaire : 223 a bien plus que son vide à me révéler. S'il est passé dans les mailles du filet de la mort en personne, je me dois de découvrir comment !

A.N.

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Le 01 avril 1921

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⏰ Last updated: Aug 11, 2017 ⏰

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