5 - Quatre pas, un destin

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Laissant Mélos sur la plage, nous nous engouffrâmes dans l'ouverture de la falaise. Le passage était étroit, si bien que nous avancions en file indienne. Un courant d'air couplé aux parois humides jetait sur nous un froid glacial. Cette situation était très inconfortable en tant que chef. Je craignais à tout moment que quelque chose nous tombe dessus. Dans ce passage, nous étions beaucoup trop vulnérables, et nous ne pouvions même pas savoir si ce passage avait une fin ou non. Plus j'y réfléchissais, plus je me disais que j'aurai dû y aller moi-même en éclaireur. Par réflexe, je rajustai le brassard portant l'emblème de mon clan - de la foudre noire sur un fond violet - comme pour me rassurer que tout ira bien. Un tic qui me venait lorsque je commençai à avoir peur. Et comme chez beaucoup de personnes, l'inconnu me donnait autant de frissons d'excitation que de peur.

"Aetherius me protégera." récitai-je dans ma tête. C'était le Phare de mon clan. Et comprenez-moi, lorsque je dis Phare, c'est le nom donné à ces phrases signatures que chaque clan ou groupe de beaters se trouvent. Au bout d'une vingtaine de minutes à être constamment aux aguets, le passage commença à s'élargir jusqu'à être assez large pour quatre d'entre nous. Le chemin rocailleux remontait doucement et le courant d'air était bien moins présent, la plage s'étalait déjà assez loin derrière nous. Nous avancions à présent en formation d'unité. Les deux autres soldats - Many et Vermach - avec moi devant Métra et l'Ours Sage Sabi'Lone, puis juste derrière, Tyanna et Alos avec Saul, et enfin Tûl et Cryd à l'arrière.

Le chemin remontait toujours, réduisant la taille des parois adjacentes petit à petit. En même temps, l'odeur de la roche humide laissait doucement place à une autre beaucoup plus singulière mais reconnaissable entre mille. La première fois que je l'avais senti, j'avais vomi : l'odeur du sang et des cadavres. À la vue des nombreux regards qui se tournaient vers moi, je n'étais pas le seul à avoir senti cela.

- Resserrez la formation et soyez en alerte le temps que l'on trouve d'où vient cet odeur. Sage Sabi'Lone, tu peux la sentir bien mieux que nous, passe devant à la place de Vermach. Alos, prépare-nous une barrière de vent.

Sans un mot, ils s'exécutèrent. J'avais proféré ses ordres avec un tel automatisme que j'eus l'impression d'être né avec ses paroles.

Après encore dix minutes à monter, la paroi en pierre céda enfin place à un terrain ouvert partagé entre la terre, la roche et de l'herbe sauvage. L'odeur du sang se faisait plus présente que jamais. Autre chose me paraissait bizarre, le chemin sur lequel nous progressions avait déjà été emprunté, l'herbe sauvage avait été coupé à la faux. Et même si cela devait daté depuis un moment, on distinguait encore la différence entre les alentours et le sentier improvisé.

Sabi'Lone s'arrêta au bord du sentier et ramassa quelque chose.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Un os.

- Tu arrives à identifier de quelle espèce il provient ?

- Oui, mais tu risques de ne pas aimer la réponse, me répondit-il dans un léger grognement.

Je compris clairement son sous-entendu.

- Tu en sens d'autres ?

- Beaucoup, pile dans la direction sur laquelle nous pointons.

- Restez en formation, nous continuons !

Nous repartîmes, toujours plus vigilant, mais j'avais la désagréable sensation d'être observée.

- Des curieux nous ont flairé, sergent Sora, mais n'arrive pas vraiment à les sentir physiquement, comme s'ils étaient immatériels. Je n'ai jamais senti ça en vingt ans d'étude de la faune.

- D'où la prudence, Sabi'Lone, nous ne pouvons pas rebrousser chemin, nous sommes venus pour recueillir toutes les infos possibles.

Je sortis mes mots avec assurance, mais ce n'était que de la façade. Intérieurement, je concentrai chaque atome pour entendre le moindre son inhabituel à travers le brouhaha continuel des éclairs.

Finalement, c'est au sommet d'une petite colline que nous découvrîmes le carnage. Au pied d'un arbre mort et calciné, sûrement frappé par la foudre, s'éparpillaient sur plusieurs mètres des squelettes et des restes de vêtement. C'était à en vomir ; ils avaient été mangé c'est certain, et la bête ne laissait pas une trace de chair. Du sang séché avait assombri le sol. Je détournai le regard dans une nouvelle direction, prêt à repartir.

- Sergent Sora, tenez.

Tyanna avait ramassé un des restes de tissus et me le tendit. Il fallait s'y attendre. Un brassard violet avec des éclairs noirs. Le brassard de mon clan, Les fils d'Aetherius.

Je me revis alors gamin, au village à l'ouest de Leikalas, le jour de mes quatorze ans. Dans notre maison en bois, je prenais mon petit-déjeuner avec une certaine appréhension. Mon père, un homme fort qui gérait toute l'eau du village, me regarda d'un œil dur :

- Bois ton lait, mon grand, il faut que tu grandisses encore plus. Pour survivre ici, il faut de la force et de l'endurance.

- Laisse-le tranquille voyons, c'est pas tous les jours que l'on se fait convoquer par la doyenne du village, pas vrai Hal ? répondit une femme en posant délicatement ses doigts fins sur les épaules de son mari.

Ma mère était belle. C'était une réflexion que je me faisais souvent. L'une des femmes les plus belles au monde, avec sa longue chevelure argenté et son sourire enjoliveur. Son sourire me donnait la force de finir mon lait mais je ne comprenais toujours pas ma convocation.

La doyenne ne convoquait jamais les gens sans importance, et le simple fait qu'elle me connaisse m'étonnait. J'avais beau chercher, ce n'était pas pour une faute qu'elle me demandait et, du haut de mes quatorze ans, je ne jouais aucun rôle dans le maintien du village. Je lavai mon bol vide puis alla chercher mon sac en bandoulière et la dague que j'avais acheté pour mon entrée au Centre des Tempêtes. Je mis ma plus belle tunique puis me dirigea vers la porte en bois.

- Attends Hal !

Ma mère me regarda dans les yeux, puis sortit de son tablier le brassard que toute personne du village âgée d'au moins quatorze ans portait. Elle l'attacha à mon bras droit.

- Aujourd'hui, tu es un homme, mon chéri. Va voir la doyenne la tête haute et écoute-la attentivement. Mais n'oublie pas, d'abord, écoutes ton cœur, pour la suite...

-...Aetherius me protégera ! finissais-je, tout sourire.

Mon père se tenait derrière elle :

- Va, fils.

Je sortis de la maison assuré et sans crainte pour me diriger vers la tente au centre du village. Au passage, je saluai les villageois que je connaissais, le bûcheron, le vieux bibliothécaire, ou encore la mage protectrice.

C'était la seule tente du village, mais une aura mystérieuse y régnait. Tout le monde respectait énormément la doyenne, elle était là lors de la création du village, et elle donnait conseil lorsque le village était en difficulté. Parfois, elle jugeait des fautifs. Arrivé devant la tente, je ne savais pas si je devais entrer directement.

- Entre, mon garçon, sois sans crainte, croassa une voix à l'intérieur.

J'entrai en courbant le dos. Alors que l'extérieur était baigner par le soleil du matin, l'intérieur était plongé dans une faible lumière tamisée émanant d'une simple boule de feu flottante.

Une vieille dame était aussi au fond sur un coussin. Un chignon grisâtre, des rides craquelant son visage en plusieurs morceaux et une vieille cape violette de sorcière la recouvrait, ses yeux demi-ouverts me lançaient un regard indéchiffrable. Elle me fit signe de m'asseoir sur un des coussins devant elle. Je pris place en tailleur.

- Haleric Sora'San, fils de Galos Sora'San et d'Allandria Lury, j'ai repéré chez toi les traces de l'élément d'Aetherius. Tu es le dix-septième fils de la Foudre.


L'Île TonnerreWhere stories live. Discover now