L'esprit d'un Séraphin déchu et la bonté d'une Ondine solitaire

Chapitre 19 : Rituel de sacrifice

Spica sentait son esprit s'en aller et son âme s'effacer de plus en plus vite.
Ses pensées n'étaient plus très claires et elle avait de la peine à aligner deux phrases distinctes dans son cerveau.
Seul Machanaël restait clairement et profondément inscrit dans ses pensées et imprimé sur sa rétine, elle pensait à lui et uniquement à lui.
Probablement un effet du processus de sacrifice qui demandait de se concentrer sur lui...
Ou alors juste ses sentiments, s'étant révélés plus forts que n'importe quand dans sa vie monotone d'Ondine ?
Ses forces diminuaient, elle le sentait. Son énergie vitale s'épuisait tout comme ses muscles.
Spica ne savait par quel miracle elle tenait encore debout sur ses jambes.

-Prends ton collier entre ta main.
L'Ondine bientôt entièrement inconsciente s'exécuta avec ses dernières forces.
Par miracle, les muscles de ses jambes tenaient encore la route pour la maintenir sur deux membres.
Spica sentit alors l'étape finale du processus de cette conversion d'âme, ce passage du corps à un objet, un artefact...
Ses pensées s'embrumèrent de plus en plus, bien plus intensément qu'avant.
Elle ne pouvait plus penser une seule courte phrase sans que cela la fasse souffrir le martyr.
Seul Machanaël occupait tout son esprit sans lui causer de dommage.

Sans crier gare, les rotules de l'Ondine cédèrent sous le poids de ses jambes et elle tomba alors à terre, à genoux, ne tenant plus.
Les jointures de ses mains apparaissaient tant elle serrait fort entre ses paumes collées le le lacet du collier.
Elle jeta avec peine et effort un regard au pendentif bleu et rouge.
C'est dans ce dernier que son âme allait bientôt résider, toute entière...

La tête de Spica bascula en avant, emportant dans son élan mû par la fatigue ses longs cheveux noirs.
Elle haletait, elle n'en pouvait plus...
Elle avait l'impression que son corps fondait de l'intérieur et brûlait avec la passion et l'affection qui l'animaient quand elle songeait à son meilleur ami, comme carburant.
Elle ferma alors peu à peu les yeux, son corps comme son esprit ne supportant plus ces souffrances qu'il valait mieux abréger...

Elle allait mettre un terme à ses pensées et laisser la statue finaliser le processus quand elle entendit alors un cri aigu reconnaissable entre mille...Il prononçait son nom :
-Spicaaaaaaaaaaa !

Presque comme un déclic, elle entrouvrit ses paupières déjà meurtries et amoindries de leurs forces. Elle ne sut si son imagination mourante lui jouait des tours lorsqu'elle entendit :
-Spica ! Peu m'importe que je me transforme en démon, car si la conséquence doit être ta mort, je préfère encore me tuer pour te rejoindre !
Elle entendit alors un bruissement d'ailes, sentit un coup de vent presque en même temps qu'un grand élancement par le biais du lacet de son collier, un grand bruit de choc juste à côté de son oreille puis elle se rendit compte qu'elle ne tenait plus, ne pouvait tout simplement plus tenir...
Spica tomba sur le sol, inerte...

-Ma tête...
Un Séraphin déchu étira alors ses grandes ailes noires, un peu abîmées par le voyage extrêmement rapide qu'elles venaient de faire, transportant avec une fidélité sans limite leur propriétaire.
-Qu'est-ce qui vient de se passer ? Je...
Machanaël, qui venait d'intervenir, avait pris un coup de plein fouet de la statue de pierre blanche du rituel.
Il avait dû rester évanoui un moment...
-Oui, Spica !

À la prononciation à voix haute du nom de sa meilleure amie, un écho strident résonna alors dans sa tête, lui donnant une soudaine migraine et faisant crisser ses dents les unes sur les autres.
Puis il entendit alors son nom murmuré dans son esprit, en son for intérieur :
-Machanaël...Machanaël. Machanaël !
Il porta sa main droite à sa tempe.
-Qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce qui m'arrive ? Aïe !

Le Séraphin déchu retira vite sa main de son front.
Une longue décharge nerveuse venait de lui parcourir tout le bras, lui faisant presque mal.
-Mais que...
Il découvrit alors à travers son gant noir déchiré comme brûlé, incrusté à même sa peau claire, une petite pierre mêlant les couleurs rouge vif et bleu nuit.
Son regard incrédule et incompréhensif de cette situation ne faisait aucun doute quant à sa surprise face à cet événement de plus.
Il fixa un moment sa paume, changée par cette pierre quand il se remémora soudain la raison pour laquelle il était venu ici à toute vitesse.