l'Étranger

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Mercredi 10 heures et 20 minutes

Je regarde avec amusement le prof de biologie faire son truc par devant la salle. Les élèves pour la plupart dorment. En y réfléchissant, cette situation a duré toute l'année. Je me demande si les professeurs, au fil des ans, n'ont pas fini à cultiver le déni. Parce que sans ça, bon nombre d'entre eux souffriraient de sérieuses maladies mentales !

Florentine n'est pas venue à l'école aujourd'hui, hier non plus. Je m'étais préparé à l'idée de la voir et de l'ignorer si possible. Mais là, je panique et je me demande si j'avais bien fait de nourrir toutes ces mauvaises idées. Si seulement je savais où elle habitait, je n'hésiterais pas à aller lui rendre visite.

Fénelon non plus n'a eu de ses nouvelles. Il m'a avoué avoir tenté de la joindre à plusieurs reprises au téléphone hier dans la soirée mais qu'elle n'avait pas décroché. J'espère qu'elle n'a rien de grave, j'espère vraiment que Florentine ne s'est pas mise dans un quelconque pétrin, ou dans un truc pas trop net... Je sais, il m'arrive de tout exagérer à ma manière.

Un autre truc me cause présentement du souci. Devant moi, j'ai une feuille de papier que le président de ma promotion m'a fait parvenir ce matin. Il m'a formellement demandé de me charger du thème de la soirée de notre promotion. De plus, je dois lui présenter tout ça lundi prochain. Il est désorienté le pauvre, sinon pourquoi viendrait-t-il à me confier une telle tâche ? Sincèrement, j'ignore ce que je suis censé faire, déjà que mes doigts sont longtemps plus nombreux que les activités et fêtes auxquelles j'ai pris part dans ma triste adolescence. Mais si je sais une chose je ne vais pas refuser. Est-ce de l'orgueil ? Oui, sans doute.

J'ai appris qu'il y avait eu quelques mésententes au sein du comité quant à la tenue de cette soirée. Certaines personnes du comité ont donc décidé de faire boycott à Pedro sur ce coup. La politique est définitivement quelque chose qui ne cessera de m'étonner. Encore récemment, son staff et lui paraissaient si soudés et impossibles à être ébranlés. J'imagine que ce scénario n'est pas pour déplaire à quelqu'un comme Victor...

Ce soir, je demanderai à Althéa de m'aider. Peut-être saura-t-elle me guider dans cette étrange tâche qui m'a été attribué. J'espère que je ne vais pas merder, pas cette fois en tout cas !

***

Mercredi, 12 heures et 37 minutes

Je n'ai pratiquement pas touché à mon repas. Mon esprit se heurte à trop de trucs. C'est dans ces moments difficiles que l'incertitude s'empare de toute ma personne. J'ai comme l'impression de faire quelque chose de travers. Peut-être que ce sentiment de culpabilité qui inonde tout mon être n'est que mirage et que plus tard, j'irai mieux, mais en ce moment, ça me fout les jetons et m'empêche d'avoir les idées claires.

Je suis encore à la cafétéria qui en ce moment est presque vide. C'est dans ces moments que je me rends compte que je n'ai pas d'amis, et que les personnes en qui je suis censé pouvoir placer ma foi ne sont pas en trop grand nombre. Pourquoi est-ce aujourd'hui que ça me tracasse autant ? J'ai cru que j'avais fini par m'y faire, mais apparemment, je me leurrais.

Parce que, je dois me l'avouer, ce n'est pas de gaieté de cœur que j'accepte ma solitude. Elle me dérange, elle me fait peur, elle m'agace, elle me tracasse. Ma solitude est encombrante et m'attriste. Ça fait un peu bizarre de le confier à ma personne, mais c'est une certitude, je ne me suis jamais habitué à être constamment écarté et isolé.

Il est presque quarante-cinq, je sors de la cafétéria et pars m'asseoir sous le préau. Là, parmi la multitude qui s'y trouve et l'énorme tumulte qui y règne, je reste là, à regarder passer les élèves. Je me complais à regarder les groupes de filles de ma promotion discuter entre elles. Bon nombre d'entre ces dernières ignorent mon nom. Pour la première fois depuis cette année scolaire, j'ai vraiment hâte qu'elle arrive à son terme !

Quelqu'un s'asseyant tout près de moi me force à tourner rapidement la tête. Je sursaute en voyant Victor à mes côtés. Me fixant droit dans les yeux, ce dernier me dit :

« Tu vas bien, Sanon ? » 

Sanon IVOù les histoires vivent. Découvrez maintenant