One - Rouge

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Je suis malade, parfaitement malade,

Tu m'as privé de tous mes chants,

Tu m'as vidé de tous mes mots,

Pourtant moi j'avais du talent...

Avant ta peau.

« Tu écoutes encore cette vieille chanson ringarde ?, demanda une voix lasse depuis le couloir. »

Une porte lourde claqua avec une telle force que les vieux carreaux encore couverts de gouttes de pluie en tremblèrent. L'une d'entre elle en profita pour glisser le long de la vitre jusqu'à atteindre les jointures de la fenêtre, où la peinture blanche s'écaillait, en reflétant sur son passage les derniers rayons de lumière du jour.

Il ne la trouvait pas ringarde, lui. À vrai dire, il en était arrivé à l'aimer, cette chanson. Cela n'avait pas toujours été le cas, loin de là, mais il lui était apparu qu'elle était la seule à lui faire oublier, l'espace de quelques minutes, l'ennui latent qui le plaquait contre le matelas de son lit. Alors il l'écoutait, les yeux rivés sur les fissures traversant le plafond blanc, les bras en croix, la nuque enfoncée dans son oreiller. À l'extérieur de la chambre, à travers la porte entrouverte laissant s'infiltrer au sein de la pièce la lueur jaunâtre de l'ampoule du salon, il vit la silhouette de Baptiste effectuer des allers-retours entre chaque pièce de l'appartement, portant tantôt des bottes noires jusqu'à l'entrée, tantôt des vêtements qui avaient été abandonnés sur le dossier du canapé. C'était toujours la première chose qu'il faisait en rentrant du travail : ranger le désordre que Lionel laissait sur son passage. Ensuite, Baptiste étirerait son dos avec un soupir, se servirait un grand verre de vin rouge, allumerait une cigarette et passerait les quinze minutes suivantes pendu à son téléphone portable, à raconter sa terrible journée à sa mère. Cela faisait bien longtemps qu'il avait arrêté de faire de même avec Lionel.

Sa main se souleva des couvertures pour refermer son ordinateur, coupant la voix grave de Serge Lama dans son élan afin de laisser la place à celle de Baptiste, quelque peu étouffée par le mur qui les séparait. Oui, oui. Oh, comment va Papa ? ... Bien, tant mieux. Lionel ? Oh, tu sais... Comme d'habitude. Je viens de rentrer. Mon boss m'a encore mené la vie dure aujourd'hui, ce couillon...

Ce soir-là, comme tous les autres, ils mangèrent dans un silence brisé par les dialogues insipides d'un téléfilm sans queue ni tête. Ensuite, Lionel fit la vaisselle, et Baptiste alla prendre une douche brûlante dont il ressortit aussi rouge qu'un homard bien cuit. À minuit moins le quart, il grimpa sur le lit, ses boucles de cheveux châtains encore humides, plaqua un baiser sur les lèvres de Lionel qui y répondit sans lever les yeux des pages de son livre, puis se coucha à ses côtés en lui tournant le dos. Dix minutes plus tard, Lionel éteignait la lumière.

Mais ce n'était pas encore terminé. Il restait encore une étape à franchir afin que cette journée soit véritablement comme toutes les autres.

Lionel, les mains jointes sur son ventre, les yeux rivés sur le plafond comme s'il pouvait mentalement en dessiner les fissures plongées dans l'obscurité, tourna lentement la tête vers la nuque de Baptiste. Lui non plus ne dormait pas encore, il n'avait même pas besoin de voir son visage pour le deviner.

Ses mains se délièrent et, dans un bruissement de draps, enroula ses bras autour de la taille de l'homme et colla son torse contre la peau chaude de son dos. Le bout de ses doigts dansait sur son torse, traçait les lignes de ses muscles ou de ses os tandis que ses lèvres remontait celle de son cou jusqu'à se refermer sur son oreille.

MANIZER [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant