36. La violence des feux d'artifices

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J'avais entouré le 25 juillet au feutre rouge sur le calendrier : le festival Tenjin-Matsuri était, selon les commentateurs étrangers, à ne manquer sous aucun prétexte. Célébré depuis mille ans, ce festival de bateaux alliant eau et feu était connu pour être l'un des plus grands du Japon. Kensei fut heureux que la proposition vienne de moi.

Nous devions nous retrouver à vingt heures devant la salle d'arcades et j'espérais qu'il ne me poserait pas un nouveau lapin. Ce n'était que le début de soirée mais les rues se remplissaient à une vitesse hallucinante, jusqu'à devenir presque impraticables. Je ne cessais de m'émerveiller des somptueux atours des promeneurs, éclairés par des centaines de lampions. Une très large proportion de Japonaises était vêtue de chatoyants yukata - des kimonos d'été.

C'est à ce moment, alors que j'étais éperdue à mitrailler avec mon appareil photo, que Kensei apparut devant les arcades. Sa vue me coupa le souffle. Il était habillé en jinbei, ce vêtement traditionnel fabriqué à partir de chanvre ou de coton, utilisé comme vêtement d'intérieur ou à la place du yukata pour les festivals d'été.

Le sien était bleu-gris à rayures verticales. Le haut ressemblait à une veste à manches courtes qui lui tombait à la taille. Les manches étaient fermées par deux liens, le premier à l'intérieur de la veste pour rabattre le tissu et le second à l'extérieur au-dessus du premier. Le tissu, large au niveau des épaules, permettait de créer une aération par temps de chaleur. Dans le cas de Kensei, le jinbei renforçait sa belle carrure d'épaules.

Mon cœur s'affola. Une Japonaise d'une trentaine d'années passa à côté de lui en rougissant, le nez planté sur ses chaussures similaires à des tongs en bois.

Me ressaisissant, je pris des photos de lui en rafale. Un mince sourire étiré sur ses lèvres, il me salua avec une petite tape sur la tête.

« Pourquoi tu me zieutes comme ça ?

— Comme ça quoi ?

— Comme un raton-laveur qui a repéré une poubelle pleine ! Ne va pas t'étonner si après je prends la grosse tête !

— Tu l'as déjà !

Ses yeux se plissèrent. Il me tira par la main pour nous faire rejoindre le flot humain qui déambulait dans l'artère marchande. D'une simple pression, il me guida à travers la foule dense. Le contact de sa paume, chaude et sèche, me troubla.

« Je n'ai qu'un regret, glissa-t-il en nous frayant un passage.

— Quoi ?

— J'aurais aimé te voir habillée en yukata. Tu le porterais bien ».

La procession comptant une centaine de bateaux avait lieu sur la rivière Yodogawa, embrasée par leurs lumières qui se réfléchissaient sur le courant, ainsi que par les torches de centaines de milliers de spectateurs. Ils transportaient à leur bord d'impressionnants feux et des miniatures de temples. « Ça me rappelle un autre festival... ». Kensei n'eut pas le temps de me répondre. Le feu d'artifice du Tenjin commença. En l'espace de quelques secondes, pas moins de cinq mille fusées côtoyèrent les étoiles.

A l'origine utilisés pour éloigner les mauvais esprits, les feux d'artifices étaient indissociables de l'été japonais. Durant deux mois, les spectacles pyrotechniques se multipliaient partout sur l'archipel. On en comptait au total sept mille par an environ, qui attiraient des millions de spectateurs pour les plus populaires, comme celui de la rivière Sumida à Tokyo.

A mesure que les feux explosaient dans le ciel sous les acclamations de la foule, la bière sur les berges coulait à flots. Des familles entières applaudissaient, les enfants perchés sur les épaules de leurs parents. Je gardai nos places tandis que Kensei partit chercher des brochettes de viande dans une échoppe. Le ventre régalé, nous nous délectâmes durant plus d'une heure du feu d'artifice.

Octopus - Tome 2 : La Pieuvre a huit brasWhere stories live. Discover now