PAPA

64 9 2
                                    


Tu vas me manquer, papa.
Je t'aimais et je t'aimerai pour toujours, sois-en certain.

Je repense à tous ces souvenirs, échappés de mon enfance, où je te revois, rentrant le soir, souvent tard, complètement lessivé de ta journée de labeur, mais bien décidé à venir jouer avec moi et me faire rire. Ce n'était jamais que dix, quinze minutes chipées à l'éternité. Mais c'étaient des minutes que j'avais besoin de passer avec toi.
Ou quand on s'affairait à préparer, en cachette, une surprise pour maman. Surprise qui finissait toujours par foirer, ce qui déclenchait des fous rires mémorables. J'adorais « rater » des choses avec toi. C'était pas grave.
Je t'aimais parce que tu avais toujours une grimace ou une petite blague pour me faire retrouver le sourire quand j'avais le cafard – toujours pour des raisons futiles.

Plus grand, j'adorais les week-ends, quand tu prenais le temps de m'apprendre des choses de mecs.
C'est toi qui m'avais appris à changer les roues de notre vieille voiture japonaise et l'huile de moteur. J'adorais quand tu me laissais garer cette putain de vieille bagnole dans l'allée.
C'est toi qui m'avais appris à manier ton Beretta. Je me souviens, on s'entraînait dans le jardin, sur des boîtes de conserve – parfois sur ces abrutis d'oiseaux, mais ça, maman ne l'avait jamais su.
C'est toi qui m'avais confié la mission de réparer le tableau électrique, un jour. Tu te tenais à mes côtés, tu me disais ce qu'il fallait faire, mais tu me laissais opérer seul.
Ces responsabilités que tu me donnais, tu ne t'en rendais sans doute pas compte, m'avaient permis de prendre confiance en moi quand j'entrais dans la merveilleuse – oh, ironie ! – période de l'adolescence.

C'est encore toi qui me forçais à faire ces marches en montagne, quand tu voyais que je m'enfermai plus que d'ordinaire dans ma chambre pour me laisser transpercer par mes idées noires qui s'immisçaient de plus en plus souvent dans mon pauvre crâne de lycéen harcelé par les petits cons de sa classe.
Tu avais ce don, de savoir à quel moment il fallait venir me secouer, à quel moment il fallait me laisser souffler, seul.
J'adorais discuter avec toi. Toi seul savais trouver les mots que j'avais besoin d'entendre. Maman était là bien sûr, pleine de bonne volonté, mais cela n'avait jamais été pareil.
Il y avait quelque chose entre toi et moi.
Un lien.
Fort.
Unique.

Tu vas me manquer mon cher petit papa.

Je me retrouve là, comme un crétin, assis en indien dans le canapé usé de notre salon, plongé dans la pénombre de la nuit qui tombe doucement à l'extérieur.
Je ressasse tout ça.
En boucle.

Tes rires, tes grimaces, tes p'tites piques, tes conseils.
Tout ça défile devant moi.

Je me souviens de ton sourire – tu avais l'air fier, ou peut-être rassuré ? – quand je t'avais annoncé il y a quelques jours, après avoir hésité pendant des semaines, qu'une fille m'intéressait au lycée et qu'il me semblait que mes sentiments pouvaient être réciproques. Tu m'avais donné des conseils pour me déclarer. Tu m'avais parlé de tes propres expériences, celles qui avaient marché et surtout celles qui avaient complètement foiré.
Qu'est-ce qu'on avait pu rire ce jour-là !

Je t'aimerai pour toujours mon petit papa.
Mais il faut que tu saches, que ce jour-là, t'as vraiment merdé. Tes conseils s'étaient avérés de la merde en boîte. Désolé de te parler de cette manière, mon petit papa. Mais c'est la vérité.
De la Merde en Boîte.

Ce jour-là, il aurait été préférable que tu t'adresses à moi comme à un adolescent de seize ans pas totalement bien dans ses baskets, et non pas comme à un gamin.
Il aurait été préférable que tu sois réaliste – bordel, papa, t'as vu la gueule que je me paie ! – en me conseillant de me focaliser sur mes études et pas sur les filles.

« Trouve-toi un bon boulot et tu verras, les filles, ça te tombera tout seul dans les bras, une fois que t'auras du pognon. »


Ça, - ça, putain !!! – ça aurait été un vrai conseil de père.

A cause de toi, je me suis sans doute pris aujourd'hui le plus gros râteau que le monde ait connu. La fille – cette pétasse de Nancy – ne s'est pas contentée de me rembarrer, mais elle est partie en fou rire.

J'ai pas supporté, papa.
Je l'ai frappée.
Je voulais pas, mais ç'a été plus fort que moi. Je l'ai frappée. Son fou rire s'est évanoui instantanément. Elle m'a regardé avec de gros yeux hébétés, une main sur la joue que j'avais giflée. Des larmes vinrent embrumer ses yeux clairs. Tu l'aurais vue, elle n'avait plus rien d'attirant à ce moment-là.
Elle est partie en courant.

Je sais que je vais avoir des problèmes, papa.

Mais merde, quoi ! Tout ça, c'est de ta faute !
Tu aurais dû m'empêcher de me lancer dans ce plan foireux. Tu aurais dû !

Je t'aimerai toujours, mon petit papa. Malgré tout.
J'espère que tu me pardonneras.
J'aurais voulu oublier où tu rangeais ton flingue.
J'aurais voulu ne pas te croiser à la maison, ce soir.
J'aurais voulu pouvoir en finir seul.

Je t'aimerai toujours, mon petit papa.
Mais ce qui nous arrive ce soir, c'est de ta faute.

PAPA et autres histoiresWhere stories live. Discover now