Introduction: Les éternels

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Achille regardait la mer avec un pragmatisme calme sur la couleur de son visage. Les vagues s'élançaient tendrement sur elles-mêmes, une houle séductrice en face de son expression scrutatrice. Qu'est-ce qui se trouvait là derrière ce bleu, chimique, artificiel, codé et programmé par un Dieu lointain au travers de son ordinateur spacial ? Il semblait rester imperméable à maintes choses présentes: le bruit de la houle se faufilant au travers des boucles de ses cheveux, le chant criard des mouettes hystériques entre elles. L'espace et les formes mêmes avaient, d'une façon cauchemardesque, l'apparence d'être en pleine distortion, résultat d'un algorithme abstrait aux inconnues temporaires. Tout changeait à vue d'oeil, à vu de ses deux yeux. Il respirait doucement et l'air entrait dans ses poumons avant d'en ressortir intact, comme s'il n'avait voyagé que de quelques centimètres carrés dans ses alvéoles pulmonaires, là et puis disparu. Sa mâchoire se serrait avant de se desserrer, comme par ennui, ou lointain songe. Il avait soudainement la pulsion violente de pleurer, sans raison particulière, si ce n'était pas la beauté du lieu peut-être était-ce la laideur que le monde lui offrait en ce moment même ? Qu'y avait-il à y comprendre ? Rien. Il ne pourrait rien y déceler. Il observait encore une fois avec dureté et maintenant lassitude les ombres du même paysage qui se dressait devant lui. Tout pour être un décor en carton-pâte de pièce de théâtre d'école primaire. Toutes ces années à accumuler des sentiments, des sensations, les différentes odeurs des shampooings sur les cheveux des filles, le gout de leurs lèvres rouges ou rosées comme de la peinture abstraite. Il n'aimait pas les cours de français, il préférait les filles, toujours elles sur son chemin, elles qui étaient assez indulgentes pour l'accepter, dans leurs bras, dans leurs baisers, dans leurs jambes, sur le creux de leurs mains. Il n'en voudrait plus. Qu'y avait-il chez ces creatures qu'il n'y aurait nulle part ailleurs ? Adam considéra l'existence de ses doigts en silence, ses ongles coupés courts puis ses phalanges belliqueuses. C'était là, sur ses mollets: le poids du monde, la froideur de l'hiver et la texture de l'océan. Plus il s'avançait plus le brouillard renchérissait dans sa densité l'apparence frêle des vagues bleues, ou vertes, ou bientôt noires. Là sur sa taille, l'interstice de son buste, il respirait enfin. Ses mains effleuraient avec diligence les corps liquides des néreides qui s'offraient à lui avec amour, avec empathie.

Je suis là.

Pensait Achille si fort qu'il aurait pu croire l'avoir dit lui-même.

Il fermait les yeux avant d'y plonger.

Ainsi je serai éternel.

Il vit les nébuleuses, les troncs tornitruants de tous les saules de la terre, les notes de musique oubliées par des compositeurs inconnus. Le son morne de sa propre voix, récitant d'une manière passive un poème aussi ennuyeux que le monde. Les regards sur son corps.

Je suis là. Tu n'as plus à m'attendre.

L'entité le considérait tout comme on soupesait un vase précieux dans une galerie d'art, voir s'il était prêt, voir s'il était vivant, voir s'il le voulait vraiment.

Il avait à present disparu sous les couleurs du brouillard et celles de la mer. Il suffoquait, pour une fois dans sa vie ce n'était plus une image. Sa gorge se nouait pour lui crier d'arrêter, de reprendre ses élans comme toute personne correctement fonctionnelle, comme une créature s'accrochant à la vie.

Achille, Achille, Achille

Tout cet amour, toute cette douceur, il n'en voudrait plus. Tout cela ne serait que détail, ne demeurerait que lui, au milieu du monde, dans cet enfer bleu, à chercher, errer, tous les jours maudits de l'existence qu'il n'avait jamais choisi de vivre. À quoi bon toutes ces futilités ? Plus rien n'existerait maintenant, plus rien enfin. Aucune beauté, aucun toucher doucereux sur ses joues ne pourrait le réveiller. Il pouvait enfin oublier. Se soustraire du monde comme dans une équation. Libéré de sa prison monochrome.

Pour toujours. 

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⏰ Last updated: Apr 01, 2019 ⏰

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Lettres à ZoéWhere stories live. Discover now