Chapitre 1: Assylana

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A deux pas de l'enfer...

La forêt émergeait tout juste de sa torpeur, d'un sommeil léthargique langoureux. Les pâles rayons du soleil ramenaient peu à peu à la vie les créatures animales ou végétales qu'ils touchaient avec une chaleureuse douceur. La rosée fraîche et éclatante du matin, qui ruisselait sur la mousse verdoyante et sur l'écorce rêche et brune des arbres, ne tarderait à pas disparaître en s'évaporant.

Calme, silencieuse et bienveillante, la forêt reprenait vie lentement...

La cible était là, à deux pas. Un oiseau des collines, une espèce rare à cette période de l'année mais qui n'abondait guère beaucoup plus le reste du temps. L'animal était imposant, d'une taille même considérable et les quelques plumes ébouriffées sur le poitrail du volatile témoignaient d'une fierté commune à ces oiseaux majestueux. Presque une forme d'insolence et de défi.

Assylana jugea qu'elle pourrait tirer un bon prix de ce plumage, en plus de la quantité de nourriture que fournirait la bête si elle visait juste et touchait sa cible. La jeune femme banda la corde élimée de son arc jusqu'à n'en plus pouvoir et fit le vide dans son esprit, se concentrant uniquement sur la cible à quelque pas d'elle, mis en valeur par un faible halo de lumière doré : le soleil.

Retenant sa respiration jusqu'au vertige, elle guetta le bon moment pour relâcher son trait et abattre sa proie. Aucune erreur ne serait tolérée, on ne plaisantait pas avec la nourriture. Il fallait obligatoirement viser juste et en une seule fois. L'oiseau inconscient et insouciant ne se doutait pas un seul instant de la présence menaçante qui l'épiait dans l'ombre, il ne se redit pas davantage compte de la mort qui le frappa de plein fouet, en une fraction de seconde, lorsque la jeune femme relâcha sa flèche.

La bête tomba sur le sol en un bruit sourd, frappé en plein cœur du silence de la mort et de la noirceur de l'éternité. Satisfait, son bourreau s'approcha de lui avec nonchalance, tout sourire aux lèvres :

— Une belle prise que voilà ! Et rare par-dessus le marché !

Assylana eut même l'heureuse surprise de constater que sa flèche n'avait subi aucun dommage : elle n'aurait pas besoin d'en tailler de nouvelles pour le moment. La jeune femme détacha sa gibecière accrochée dans son dos et rangea sa prise avec précaution, sans se départir de son sourire victorieux. Sans dire qu'elle avait atteint la félicité, le chasseur qu'elle était n'était pas mécontent de ses prises : trois lapins, un écureuil, un oiseau des collines...

Sans compter les pièges qu'elle n'avait pas encore relevés et les baies qu'elle n'avait pas cueillies ! Non, vraiment, il était difficile de ne pas être fière, la chasse était fructueuse à souhait.

Un craquement non loin fit sursauter la jeune femme qui se leva d'un bond, arc en main. Assylana serra les dents sans toutefois se retourner en direction du bruit, tâchant plutôt de percevoir un mouvement inquiétant ou un autre son suspect qui précédait celui-là.

Craignant que ce soient les elfes, elle ne réprima pas les tremblements de ses doigts alors qu'elle encochait une nouvelle flèche, prête à réagir instantanément pour sauver sa vie. Puis, mue par la force du désespoir ou simplement par une témérité surprenante, elle se retourna d'un seul coup, son arme pointée en direction de...

— Doran ! Comment diable est-ce que tu... Tu étais censé rester à la maison !

— Oui, tout comme toi, je te ferai dire. Je suis simplement venu prêter main forte à ma sœur aînée, juste au cas-où celle-ci aurait besoin d'aide ! se justifia le jeune homme, les mains levés en guise de reddition mais non déstabilisé par la vue menaçante de l'arc pointé dans sa direction.

— Juste au cas-où, permets-moi de te dire que tu as failli être empalé sur une flèche, sombre idiot ! J'ai bien cru que c'étaient les elfes ! s'emporta Assylana, tapant férocement du pied au sol, abaissant son arc.

— Calme-toi un peu, Assy ! Il ne s'est rien passé de grave ! Ce n'est pas comme si nous nous étions...

— Faits prendre ? compléta une voix grave qui n'était pas celle d'Assylana.

En l'espace d'une fraction de seconde, la colère qui animait la jeune femme se transforma en peur. Une peur incommensurable, vive et brûlante. Elle vit dans les yeux de son cadet que le même changement s'était opéré en lui. Il ne fallut pas davantage de temps pour que les deux êtres soient encerclés par une dizaine d'arcs, chacun pointé en direction de leur visage. A cette distance, il était impossible de rater sa cible, même en étant très mauvais tireur.

Assylana comprit qu'elle ne pourrait rien faire, ni pour sauver son frère ni pour se sauver elle-même. Le seul elfe qui ne les menaçait pas directement - sans doute celui qui avait parlé et le chef du groupe, - franchit le cercle et les toisa d'un regard mauvais :

— Que faites-vous sur notre territoire, si loin des frontières ? avisa-t-il, les sourcils froncés.

Aucun des deux jeunes gens ne lui répondit. Qu'auraient-ils pu dire ? Ils étaient en tort et ils le savaient : nul être n'avait le droit de franchir les frontières imposées par le roi sans son consentement. Cela faisait partie du marché, et ce depuis longtemps. Doran chercha à gagner du temps :

— Nous sommes loin des frontières ? Je... Nous ne l'avions pas remarqué... Autrement nous ne serions pas ici, je le jure !

— Ne te moque pas de moi ! gronda l'elfe en se rapprochant rapidement d'Assylana. Ne vas pas me dire que ceci (il tira avec force sur la gibecière qui répandit son contenu sur le sol) est issu de la magie ! Le braconnage, - puisque c'est ainsi que l'on qualifie cet acte ! – est très sévèrement puni, plus encore que le fait d'avoir franchi les frontières sans l'autorisation du roi ! Emmenez-les !

Les elfes abaissèrent leurs armes comme un seul homme et voulurent se rapprocher, mais Doran ne l'entendait pas de cette oreille. S'il devait mourir, il ne le ferait pas au fond d'une cellule ou la tête détachée des épaules ! Assylana, quant à elle, sentait la panique liée à l'impuissance la gagner, et elle s'efforça au plus vite de trouver une solution. Lorsqu'elle vit son frère se débattre comme un beau diable, même sous la menace d'une dague pointée en direction de sa tête, elle ne put s'empêcher d'intervenir, désespérée :

— Arrêtez ! Mon frère n'y est pour rien ! Je... Je suis la seule fautive de tout ceci. Oui, je l'admets, j'ai braconné sur les terres du roi, mais mon frère, Doran, n'est jamais venu avec moi. Je suis la seule véritable responsable, laissez-le partir ! Ayez pitié !

Tous s'étaient arrêtés pour écouter la jeune femme implorer et se justifier, le souffle court. Les regards convergèrent vers le chef, l'elfe aux cheveux bruns et aux yeux vert sombre, qui n'en démordit pas pour autant :

— Il a tout de même franchi les frontières, cela aussi constitue un crime. Emmenez-les, tous les deux, lâcha-t-il avant de leur tourner le dos. Et enfermez-les dans des cellules séparées, ajouta-t-il ensuite.

Doran lança un regard désolé en direction de sa sœur qui fit mine de ne pas le voir. Elle se sentait autant impuissance et coupable de ce qui arrivait qu'honteuse de son incapacité à protéger les siens. Qu'allait-il advenir d'eux à présent, à deux pas de l'enfer ?

Prisonnière des bois [SDA] - TerminéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant