Chapitre 14

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Je marche sans but précis, sans trop savoir où je vais. En fait, je me perds carrément, mais ce n'est pas grave parce que j'ai le numéro de téléphone de la compagnie de taxis dans mon répertoire si j'ai besoin de rentrer. Et au pire des cas, j'appelle Léna qui demandera à Eva de me guider pour retourner chez elle, si elle est en état de le faire. Pour l'instant en tout cas, je n'ai pas envie de rentrer. En fait, je ne sais pas trop quoi penser. Je crois que je suis un peu déçu ; déçu que nous nous soyons embrassés comme ça. Déçu qu'il n'ait pas eu l'occasion de le faire parce qu'il en avait envie, au lieu d'en être contraint à cause d'un stupide jeu. Je savais bien qu'il ne fallait pas que je vienne à cette soirée... Dire que c'est lui qui m'en a convaincu !Mon téléphone vibre encore dans ma poche et je serre les poings en soupirant. De la buée s'échappe de mes lèvres et je m'amuse pendant quelques minutes à en souffler en différentes quantités. Sauf que ça finit par ne plus tellement m'amuser, alors je regarde autour de moi. Je m'éloigne peu à peu des habitations, et je remarque que les lumières de deux des lampadaires qui bordent la route sont grillées : ça me permet de mieux apercevoir le ciel et les étoiles qui l'illuminent. C'est vraiment beau, et j'aimerais m'y connaître mieux en astronomie. Je finis par m'asseoir sur le trottoir, de toute façon il n'y a personne à cette heure avancée et au moins je ne suis pas obligé de me casser la nuque à toujours regarder en l'air. Si quelqu'un passe par là, il doit sûrement se demander ce que je fais et je pense que j'ai l'air con, ou paumé, mais je m'en moque.

Comment est-ce que j'en suis arrivé là ? Pourquoi est-ce que je dramatise tout le temps ? Pourquoi Eva a eu cette idée à la con ? Je me frotte les yeux, avant de me rappeler que je suis maquillé. Merde, je ne dois plus ressembler à rien... J'ai les doigts noirs, et je râle à haute voix en me demandant comment les filles peuvent penser à ne pas toucher leur visage quand elles sont maquillées, tous les jours. J'essuie mes doigts sur mon pantalon et m'adosse à l'un des lampadaires. Je n'aurais jamais fait ça en pleine journée, j'aurais trop pensé aux chiens qui font leurs besoins dessus ou quelque chose comme ça, mais là tout de suite je n'y pense pas.

Je regarde autour de moi pour la énième fois de la soirée, et souris en voyant la lumière d'une chambre allumée à l'une des maisons. Elle est faible, ça doit sûrement être un adolescent qui n'a pas le droit d'éteindre trop tard et qui ne respecte pas le couvre-feu imposé par ses parents. Ou quelque chose comme ça. J'aime bien essayer d'imaginer à quoi ressemble la vie des gens rien qu'en les regardant – même si je pense que je me plante la plupart du temps.

Ça me fait penser à cette fois où j'ai séché les cours, au lycée, parce que je voulais rompre avec ma routine d'adolescent bien sage. En fait je ne l'étais pas forcément, même si je n'ai jamais eu de réelle « crise » ou quoi que ce soit. Simplement, ce jour-là, alors que j'étais dans le bus en train de m'endormir debout à moitié, j'ai décidé de ne pas descendre au même arrêt que d'habitude et de faire autre chose de ma journée. Je l'ai bien évidemment payé le soir en rentrant parce que le lycée avait appelé mes parents, mais c'était une belle journée. Je m'étais simplement assis sur un banc, sur les quais au bord du Rhône, et je n'ai pas bougé jusqu'au repas de midi. Je serais bien resté assis là toute la journée, mais je m'étais dit qu'il serait con de tomber dans les vapes parce que je n'aurais pas mangé, alors je suis allé m'acheter un sandwich poulet-curry, que j'ai picoré en buvant de l'eau. N'importe qui prendrait autre chose qu'une simple bouteille d'eau plate et pourtant, ce n'est pas mon cas. Ce n'est pas ma faute si je n'aime pas le coca ou toutes ces autres conneries à bulles, je préfère de loin l'eau normale, même celle du robinet quand elle est bonne. Les autres se moquent de moi en général, quand j'essaye de leur expliquer que si, l'eau a un goût. Certaines sont même dégueulasses. La seule qui ne se moque pas de moi, ou bien gentiment, c'est Léna. Je me dis parfois que cette fille est vraiment parfaite, avec ses défauts et ses qualités, parce qu'on en a tous, mais c'est ce qui fait notre charme, non ?

Life is a rough draft. [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant