Les quais de métro

31 4 0
                                    


     La sonnerie résonne. Les portes se ferment. Le moteur redémarre et le métro quitte la station. Le son, les portes, le moteur et le départ. C'est toujours la même chose. De station en station, de ligne en ligne, de printemps en hiver. La même formule.

*

    Petit, je me souviens, je le prenais pour aller à la piscine avec le centre. Tous les mercredis après-midi. Je pigeais pas tout à l'époque, je dois bien le reconnaître. Les tickets, les horaires, les changements... C'était pas mon problème. Et puis, mes parents, leur truc, c'était plus la bagnole. L'espace privé, la tranquillité, ce genre de connerie. Alors, moi, le métro, ben j'y allais pas. À part pour la piscine. Là, je descendais sous terre. De porte de Pantin à ... Quelque part. Je ne me rappelle plus du nom de la piscine. Je ne l'ai peut être même jamais su. Tout ce dont je me souviens, c'était le mur de brique rouge en face de la sortie. Il m'a marqué celui là parce qu'on se collait toujours dessus pendant que les moniteurs faisaient l'appel. Agatha, Thomas, Quentin, Yann.. Ça prenait des plombes. Je crois qu'ils avaient peur d'en oublier derrière. De faire la boulette de trop, celle qui leur vaudrait plus qu'un avertissement. Et nous, on était là, on cuisait sous le soleil. On attendait.

    Et puis, à un moment, on repartait. On allait à la piscine. On s'amusait. Ouais, on passait de bons moments... Tellement bon que j'en ai plus aucun souvenir d'ailleurs. Mais je pense que c'est normal. Je pense que notre mémoire, elle s'efface au fur et à mesure. Quoi qu'on fasse. Et nous, on est là, comme des cons, à essayer de se rappeler, à rejouer le vieux film en boucle pour mieux en voir les détails. Mais la pellicule, elle est déjà en feu. Et toi, tu le vois pas, tellement pré-occupé par l'histoire. Tu te rends pas compte que des personnages ont disparu, que les décors ont changé... Mais à la fin, le résultat est toujours pareil, il ne reste qu'un mur de briques rouges.

    Au début, ça me rendait un peu triste tout ça. J'avais la sensation de perdre quelque chose, de ne plus être « entier » ou je ne sais pas quoi.

    Maintenant, ça va mieux. Oui, maintenant...

*

    La sonnerie résonne. Les portes se ferment. Le moteur redémarre et le métro quitte la station. Trois personnes descendent, cinq montent.

*

    Le plus fatiguant dans le métro, c'est de suivre ses pensées. Ça sonne ridicule, je sais, presque comique même. Mais ça l'est pas. Tu peux me croire...

    D'ailleurs, tu penses que c'est quoi toi ? Qu'est-ce qui fatigue le plus dans le métro ? Moi, au début, quand j'ai commencé à le prendre tout seul pour aller au lycée, j'pensais que c'était le bruit. Pas seulement la sonnerie, hein, l'ensemble. Les gens qui discutent, le moteur qui grondent, cette putain de sonnerie qui résonnent à chaque station... Elle, c'est la pire. Je l'ai trop entendu. Hier, comme aujourd'hui. D'hiver en printemps, elle est toujours là. Au début, elle résonnait dans la station, maintenant elle résonne dans mon crâne. Huit fois le matin, huit fois l'après midi. Cinq jours sur sept. Quatre-vingt fois par semaine. Trois cent vingt fois par mois. Cette même putain de sonnerie.

    Mais c'est pas ça le pire. Non, c'est pas ça. Le pire, c'est les arrêts. Toutes les minutes. Ça monte, ça descend, ça sonne, ça gronde, ça crie, ça râle, ça rie, ça pleure, ça mange, ça pisse, ça vit et ça grouille. Et moi, j'suis là comme un con. Déconnecté. Dans ma bulle. En train de penser ou de lire. À côté de la plaque. Et je m'arrête. Toutes les minutes. Je m'arrête et je regarde. Les jeunes et les vieux, les hommes et les femmes. Et alors je vois.

Les quais de métroWhere stories live. Discover now