Insomnie

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   Mon psy m'a dit de tenir un journal. Pour évacuer mes idées. Il pense que ça me fera du bien. Écrire. Écrire quand ça va pas. Mettre à l'écrit ce qui me passe par la tête. Selon lui, ça m'aidera à aller mieux. À prendre du recul. Comme si j'en avais pas déjà assez du recul...

   Peut être qu'il a raison. J'en sais rien. C'est lui l'expert après tout. Mais moi, j'hésite encore. Je sais pas trop pourquoi... Je me vois pas écrire un « journal ». C'est pas pour les enfants ça, écrire un journal ? Et puis j'y mettrais quoi dedans ? Mes rêves ou mes cauchemars ? Mes pensées ou mes actions ? C'est pas aussi simple qu'on le pense. Faut savoir par quoi commencer avant tout.

   Mais je sais que c'est à la mode. Y a pas une journée qui passe sans que je vois une vidéo en parlant. J'ai l'impression que tout le monde en tient un, de journal. Ou alors c'est peut être que je passe trop de temps sur mon ordi. Je sais pas. Peut être que je deviens comme ces gens qui regarde tellement de porno qu'ils commencent à penser que leurs putains de vidéos sont la norme et que c'est le délire de tout le monde de se faire pisser dessus. Peut être que je suis comme eux au final. Mais avec les journaux, pas le porno. Si il faut, c'est vraiment un truc de gamins. Un jeu de cours d'école. Si il faut, personne n'en tient réellement et c'est juste un argument commercial. Un complot mondial de la confrérie des vendeurs de cahier. Ouais, non, je vais trop loin ... Mais ça serait rigolo.

   Et puis, y a un truc qui me dérange avec le journal. Écrire, encore, pourquoi pas. Ça fait longtemps que je ne l'ai plus fait mais ça peut être amusant. Peut être que c'est comme le vélo, qu'on oublie jamais totalement, qu'il suffit de prendre un stylo et que tout nous revient instantanément. Alors, écrire, oui, pourquoi pas. Mais... écrire, pour qui ? C'est ça, le vrai problème... Écrire pour qui ?

Dis, tu la connais, toi, la solitude ?

*

   La chaleur monte dans la pièce. Le dos qui colle contre le matelas. L'oreiller qui fait mal à la nuque. Le sommeil qui s'en va. Une nuit comme les autres. Sans repos.

*

   Moi, tu sais, je la connais bien, la solitude. Elle me tient souvent compagnie. Quand je suis chez moi. Quand je suis dans le métro. Quand je suis avec des gens. Souvent quand je suis avec des gens, d'ailleurs. C'est un peu paradoxal, tu trouves pas ? Se sentir seul quand on ne l'est pas. Ou alors, c'est ça sa vraie définition. La solitude, c'est quand tu te sens seul avec des gens. Quand d'un coup, assis à ta table dans le café, tu as l'impression que tout le monde t'a oublié. Que tu es juste un étranger, un inconnu. Un fantôme. Alors, tu rigoles, comme tout le monde, quand tu entends que ton pote à fait une blague. Même si elle n'est pas vraiment drôle, même si tu ne l'as pas vraiment comprise, même si tu n'as pas vraiment envie de rire. Surtout si tu n'as pas envie de rire. Tu rigoles. Mais t'es seul.

   En fait, je crois qu'une fois qu'elle est arrivée, la solitude, elle repart plus. Jamais. Et t'as beau t'entourer de tous les gens que tu connais, t'as beau sortir tous les soirs, t'as beau réussir tout ce que tu veux, elle reste là. Parce que la solitude, elle s'en fout de ce que tu fais. Tu peux être sur une plage à Miami ou au fond de ton lit, elle reste là. Tu vois de quoi je parle ? Bien sur que tu vois de quoi je parle. Tu la sens, toi aussi. Le soir, quand tu t'allonges pour dormir. L'après midi, quand tu rentres de ton travail. Ou le matin, quand tu es sous ta douche. Tu la sens. Non mais attends, te braque pas ! Je ne dis pas que tu es seul. Je sais que tu as ton petit honneur, c'est pas un truc que tu vas admettre. Et puis, au fond, tu as bien raison. C'est pas une bonne chose de dire ça. Personne ne devrait le dire. On devrait tous faire semblant d'aller bien tout le temps. Parce que dire qu'on est seul, c'est reconnaitre qu'il y a un truc qui va pas. Et te goure pas mon pote, le truc qui va pas, c'est pas les autres. C'est toi. Dire qu'on est seul, c'est dire qu'on a un truc en nous qui va pas. Une pièce cassé. Un engrenage rouillé. Un coeur vidé.

Dis, tu en as peur, toi aussi, de la vérité ?

*

    Les minutes qui passent. L'heure qui tourne. La chaleur qui monte. La nuit qui, petit à petit, nous engloutit. Et le sommeil. Loin. Toujours.

*

   Quand j'étais gosse, j'étais jamais seul. Enfin, non, c'est pas vrai. J'ai du être seul quand j'étais gosse. Mais je m'en souviens pas. C'est ça la beauté de l'enfance. Tout est plus simple. La solitude, on l'oublie dès qu'on passe les grilles de l'école. Enfin, j'te dis ça.. Sois pas dupe, mon pote. C'est juste des souvenirs.

   Y a pas à dire, c'est beau la mémoire. C'est beau, parce qu'on peut lui faire dire ce qu'on veut. Elle efface la tristesse, les larmes et les colères. Les cauchemars et les connards, les goûters renversés et les coups de pied. Elle lisse la réalité. Et grâce à elle, on s'en crée une nouvelle. Une qui serait plus belle.

   Alors, on se dit qu'on était pas seul. Qu'on était avec nos amis. Qu'on était peut être même populaire, même si on en avait franchement pas l'air. On garde que le meilleur, on efface nos peurs.

   Et puis on se souvient. On se souvient du visage de cette fille, celle qu'on pensait aimer, mais à qui on a jamais parlé. On se souvient des plaques de verglas, les matins d'hiver et des glissades à en finir le cul par terre. Du foot à la récré, du ballon qu'on finissait toujours par paumer. Dans les rues ou sur les toits. C'est ça dont tu te souviens, toi ?

   Parce que moi, il me reste plus rien. Un trou noir. Le vide intégral. Peut être que j'ai tout effacé. Ou alors, peut être que j'en avais pas, moi, de bons moments. Peut être que j'ai un problème... Ouais, peut être...

   Je devrais écrire un journal. Mais j'aurais du le commencer gamin. Pour me souvenir. Garder une trace. Un prénom, un visage. Un ballon de foot ou un mur de briques rouge. N'importe quoi. Un truc. Un morceau du passé. Un morceau de moi. Une bouée de sauvetage.... Ça aurait pu m'aider dans les moments comme ça. Quand les minutes passent et que le sommeil ne vient pas. J'aurais pu ouvrir une page, n'importe laquelle et me plonger dans le passé. Et puis j'aurais fermé les yeux, j'aurais lancer la bobine et le film aurait redémarré. Mais là, j'aurais pas fait les mêmes conneries. Non, j'aurais su où aller. Les gens à qui parler et ceux à éviter. Ceux que j'aurais pu aimer, ceux que j'aurais du éviter.

   Oui. Y a pas à dire, ça aurais été bien d'avoir un journal... Mais c'est trop tard maintenant, non ? 

 Dis, tu penses que c'est trop tard ?

*

   Le soleil qui se lève. Les premiers rayons sur le plancher. Les yeux lourds qui enfin se ferment. Une nouvelle journée.

*

Dis, tu la connais, toi, la nostalgie ?

Dis, tu la connais, toi, la solitude ?

Dis, tu en as peur, toi, de la vérité ?

Dis, tu penses que c'est trop tard ?

Dis moi que c'est pas trop tard...

InsomnieWhere stories live. Discover now