À quoi se joue un destin

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- Tu dois me protéger. Promis ?
Sam opina à nouveau, subjugué par ses immenses yeux clairs qui ne quittaient pas les siens. Il ressentait un réconfort qui lui donnait envie de pleurer.
- Et tu dois aider mes parents, tu dois les amener chez Ea.
- D'a...d'accord, parvint-il à articuler enfin, sans comprendre sa demande, mais certain qu'il ferait tout pour cette fillette. Si elle lui fait demandé de nager jusqu'à Yzor, il l'aurait fait. Qui qu'elle soit.
- Je suis Eylis.

Sans rien ajouter, elle s'avança dans la rue et prit doucement la main de Sam. Elle le tira calmement, presque avec tendresse, vers la porte par laquelle elle était apparue et le fit entrer à l'intérieur.
- C'est chez moi, murmura-t-elle.
Et le doux rêve dans lequel était plongé le crieur depuis quelques instants vola en éclats.

Anaïs courait dans les couloirs obscurs du palais, un plateau d'argent en équilibre dans chaque main. La reine avait demandé son thé d'Onoise qu'elle partagerait avec ses invités et elle n'est pas le genre de femme que l'on peut faire attendre sans courir de risque. Elle l'aurait été même sans son statut. Heureusement, en cinq ans au service d'abord d'une duchesse puis de la reine elle-même, elle avait appris la rapidité, l'efficacité, la discrétion et l'équilibre, des qualités vitales dans son métier. À tel point qu'à seulement dix-sept ans, elle était déjà au service exclusif de sa souveraine. elle ne gâcherait pas tous ses efforts en se faisant priver de sa tête pour une bête théière. Elle arriverait à temps, comme toujours.
Elle pestait contre la cuisinière qu'elle avait bien mise cinq minutes à réveiller (elle en toucherait deux mots à l'intendant Reon, il n'y avait pas d'heure pour le service royal). Seulement, ce ne serait pas cette vieille feignante d'Anka qui se ferait punir mais bien la porteuse. Ce n'était pas de sa faute mais évidemment ça ne comptait pas.
Réprimant un juron, Anaïs s'arrêta et commença à marcher plus doucement : on ne se présente pas devant sa Majesté soufflante comme un bœuf et rouge comme une Ivrine. Le couloir dans lequel elle se trouvait, comme une bonne centaine d'autres dans le palais, n'était emprunté que par les domestiques afin qu'ils ne dérangent pas les résidents par leurs allées et venues constantes. Il était toutefois le moins connu d'entre eux à cause de son entrée bien cachée derrière une tapisserie râpée dans l'un des autres couloirs. De plus son état laissait à désirer : la poussière régnait en maîtresse absolue, disputant la suprématie des surfaces avec la mousse et l'humidité. Anaïs frissonna en apercevant une toile d'araignée plus grande que sa tête, elle hâta légèrement le pas en repoussant au coin de sa conscience les rumeurs qui impliquaient les couloirs sombres et une bonne dose de mort, de souffrance ou de folie. Voire tout en même temps. Mais ce passage lui faisait gagner de précieuses minutes alors elle serrait les dents et priait pour en sortir le plus vite possible.
Elle soupira de soulagement en atteignant enfin la sortie qui menait à la porte des appartements de la reine Tyana. Un domestique lui ouvrit la lourde porte couverte de symboles floraux en feuille d'or et elle s'avança la tête baissée.

La souveraine discutait avec sa première dame, la duchesse V'ermil, et un inconnu qui se dissimulait sous une cape pourpre de belle facture. Il s'agissait plus d'un royal monologue que d'une véritable discussion. La reine s'exprimait avec une animation proche de l'hystérie (les propriétés calmantes de l'Onoise ne seraient pas superflues) devant son public qui restait silencieux, la mine grave. Personne ne prêta la moindre attention à la jeune domestique qui s'affairait autour de la table basse.
- Et que pensiez-vous faire maintenant ? Vous comprenez bien que je ne peux pas vous protéger de tout éternellement., fulminait Tyana. Nous ne sommes pas loin de la fin de notre mission, tout ne tardera pas à se mettre en place. Ce n'est pas le moment de tout lâcher pour...pour batifoler !
Elle cracha presque ce dernier mot comme si elle s'était brûlée en le prononçant. Ses colères étaient légendaires et connues de tout Mérile mais ce n'était cette fois pas la rage froide dont tout le monde avait l'habitude. Cette fureur paraissait bien plus destructrice et incontrôlable.
- Tout ceci n'a donc pas de valeur pour vous ? Vous avez prêté serment avec moi ce jour-là, n'était-ce que mensonges ?
Elle paraissait désormais sur le point de pleurer. Anaïs vola à son secours en présentant le thé à sa souveraine pour qu'elle puisse avoir le temps de reprendre contenance. Elle en fut récompensée par un léger sourire de reconnaissance.
Au bout de quelques minutes de silence embarrassé, l'inconnu prit la parole d'une voix calme qu'Anaïs reconnut tout de suite :
- Vous savez que nous vous sommes fidèles ma reine, mais nous savons aussi que vous comprenez. Nous pourrons vous être utiles autrement, ailleurs mais nous devons partir. Mérile est devenue trop dangereuse pour nous.
L'homme à la cape pourpre n'était autre que Marc Bayl, chef du corps de garde dédié à la reine et...pour lequel cette dernière ne cachait qu'à grand peine son affection ! Pas étonnant que son départ auprès de sa plus proche amie l'ait mise dans un tel état.
- Je le sais Marc, répondit la reine d'une voix enfin maîtrisée. Toutefois vous ne pouvez me reprocher de m'inquiéter à l'idée de me retrouver seule ici. Je n'aurai plus aucun allié. Mon seul espoir est qu'ils l'aient trouvée avant les autres.
- Nous resterons en contact avec vous ma Reine et nous poursuivrons les recherches de notre côté. Je nommerai un homme de confiance pour vous porter, disons, les lettres de nouvelles de votre meilleure amie.
- Je ne vous ferai pas changer d'avis (la duchesse et le capitaine secouèrent la tête à l'unisson). Eh bien qu'il en soit ainsi mais prenez garde à vous, la milice n'obéit qu'à mon mari, je ne pourrai rien pour vous. Ah et pensez à nommer chacun quelqu'un à vos postes.
Elle les congédia ensuite d'un geste de la main, trop épuisée pour leur adresser plus qu'un soupir. De toute manière, elle avait horreur de dire adieu et quelque chose en elle lui soufflait qu'elle ne les reverrait pas. Elle se rendit soudain compte qu'elle n'était pas seule dans la pièce, elle n'avait pas pensé à renvoyer la servante vaquer à d'autres tâches. Elle allait le lui reprocher mais fut retenue par une idée qui la fit sourire, d'un sourire incapable d'éclairer ses yeux noisette.
- Viens ici, jeune fille. Quel est ton nom ?
- Anaïs, votre Majesté, répondit-elle en s'inclinant.
- Que dirais-tu de changer d'occupation ? Je te propose une sorte de promotion, qu'en dis-tu ?

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⏰ Last updated: Feb 22, 2018 ⏰

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