I. Corax

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"The ruins become a work of art. Why are they so fascinating? We do not know their exact form." Le Carnet


1. L'angoisse de la page noire

                                                                                                                                                                10/06/2016

Je suis un réceptacle.

Créé pour ce faire, j'ai maintenant appris à me tenir tranquille. Et j'attends qu'un autre vienne me marquer de son emprunte.

Selon je ne sais quel algorithme, les nouvelles viennent à moi, les images, les sons captent mon attention.

Et toutes ces inscriptions me remplissent bientôt. Arabesques, entrelacs burinent ma conscience. Et finissent par rendre comme une page blanche.

Mais que j'écrive et je serai guéri.

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Tu as parcouru ces lignes et ton front s'est plissé. As-tu perçu une menace ? Ton premier réflexe fut de remiser le carnet au fond de la boîte à livres. Tu as rougi. Pourquoi as-tu rougi ? La crainte du flagrant délit de voyeurisme. Tu es voyeur, à défaut d'être voyant. Dans le train, tu dérobes quelques lignes au roman du voisin, en passant. Et ces débris d'histoire suffisent à remplir un temps l'attente. Tu es voyeur car tu aimes les œuvres d'imagination. Tu aimes les sons qui s'échappent d'une fenêtre ouverte. Tu aimes les flous qui se dessinent derrière une fenêtre fermée. Tu es de la race des indiscrets, race fort nombreuse et salutaire à l'humanité car c'est aussi la plus prompte à éprouver de la sympathie pour autrui, la dernière à lever les armes. Il y a de l'intérêt dans ta façon de scruter les passants et donc de l'amour. C'est par amour que tu t'étais dirigé vers cette boîte à livres. Tu cherchais l'intimité, l'odeur de lessive d'un autre, des confessions voire, avec un peu de chance, du sang et des larmes. Et tu t'apprêtais à trouver cela d'une façon tout à fait acceptable : dans un livre.

Les villes sont aujourd'hui jalonnées de boîtes à livres. On y dépose ce qu'on ne veut plus chez soi. Un autre le prend. Cela s'appelle aujourd'hui la citoyenneté et le vivre-ensemble. Tu vas toujours y jeter un coup d'œil, sans trop y croire. Tu oublies systématiquement d'emporter un roman avec toi pour l'échange et tu repars tout aussi fatalement avec une édition vieillotte que tu liras en priorité malgré les piles de nouveautés achetées en librairie qui s'entassent périodiquement.

La couverture rigide de moleskine aurait dû t'alerter. Couleur noire, grand format. Un étranger dans ce contexte. C'est pourquoi tu l'as pris. L'inhabituel est intriguant. Et tu étais venu trouver une intrigue.

A l'intérieur, écriture manuscrite. C'est ce qui t'a gêné et fait refermer le tout, livre et boîte. Autour de toi, de trop nombreuses personnes. Une fontaine, des enfants y jouent ; les parents sont assis et regardent qui leur smartphone, qui leur enfant, qui le soleil, qui les terrasses bondées ; certains te regardent toi.

Tu as eu l'air d'avoir oublié un rendez-vous et tu t'es précipité dans les venelles qui jouxtent cette place sans ombre. C'est là que tu t'es arrêté pour réfléchir.

Qui pourrait abandonner un carnet dans cette boîte, et pourquoi ? Quand le carnet a-t-il été déposé ?


C'est avec un plaisir sans nom et les mains qui tremblent que je t'ai aperçu déboucher sur la place à nouveau, te rendre d'un pas décidé vers la boîte à livres, l'ouvrir, prendre le carnet sans un regard pour les passants et repartir comme tu étais venu.


Dans ta précipitation, tu n'as pas refermé la boîte.

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⏰ Last updated: Mar 20, 2018 ⏰

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Le KérygmeWhere stories live. Discover now