32 minutes et 16 secondes (SF)

32 minutes et 16 secondes

    Jerry faisait encore l'imbécile dans son vaisseau. Cet astronaute de trente ans n'avait aucune idée de ce qui allait lui tomber dessus dans exactement 32 minutes et 16 secondes. Il s'amusait de la gravité. Aujourd'hui, nouvelle expérience: "Comment réagiraient ses poils de barbe dans la cellule d'apesanteur ?". Sur le vaisseau, la gravité était artificielle. Jerry s'est d'ailleurs toujours demandé pourquoi. Il est tellement plus amusant de se prendre pour un oiseau plutôt qu'un simple humain. Evidemment, il avait appris les impératifs du corps. Les Hommes, ne peuvent survivre indéfiniment à l'absence de gravité, sans compter tous les autres effets que peut avoir le simple fait de demeurer dans l'espace pendant plus d'une année.

     Jerry avait embarqué seul pour une mission de 6 mois. Son objectif, détruire tous les satellites qui ne fonctionnent plus mais aussi tous ceux appartenant à l'ennemi. Ou du moins fallait-il les saboter. Mais il n'avait cure de sa mission. Personne n'était là pour lui ordonner quoi que ce soit. Puis, de toute façon, le monde est parvenu à sa fin. Il en était convaincu. Malgré tout ce que peuvent dire ses supérieurs de la N.A.S.A lorsqu'ils les a en communication, il a le sentiment, au fond de lui-même que rien ne s'arrange et que rien ne s'arrangerait jamais. "Nous sommes parvenu à point de non-retour" pensait-il. C'est d'ailleurs ce qui est étonnant pour un optimiste convaincu comme Jerry.

    Il mit ses poils dans la cellule et appuya sur le bouton à côté pour enlever la gravité artificielle de la boîte hermétique. Mais au lieu de regarder le produit de son expérience, il dirigea le regard vers le hublot le plus proche de lui. Il s'en rapprocha et pu observer la Terre. Une larme lui vint quand il pensa à sa planète. Non pas qu'elle lui manquait, il avait une famille qui l'attendait bien sûr mais ce n'était pas sa préoccupation en cet instant. 

    Il se demandait plutôt comment quelque chose d'aussi beau avec une nature autrefois grandiose et une civilisation qui avait créé tant de chose aussi magnifique les unes que les autres avait pu sombrer dans la décadence et la situation qu'il connait aujourd'hui. Sur Terre, c'est l'anarchie... ou presque. Des oligarques, bons orateurs et persuadés d'avoir trouvé la solution à tous les problèmes dirigent maintenant la première puissance mondiale. La Terre et ses 13 milliards d'habitants attendaient patiemment que son sort se joue et occupe ses journées à tenter de survivre en s'entre-déchirant.

    Depuis que la Russie avait affirmé sa suprématie en utilisant la bombe nucléaire comme moyen pour faire taire, à la fois le terrorisme mais aussi l'ensemble des pays du sud de l'orient, l'Amérique avait vu là un immense danger. Un danger, non seulement pour toutes les ressources qu'importe les américains mais aussi un danger pour sa propre suprématie qu'elle a considéré comme remise en question par la seconde puissance depuis près de deux siècles. 

    Ils avaient appelé ça "la guerre froide": "Hé bien elle vient de se réchauffer" pensait Jerry. Voilà pourquoi l'astronaute avait décidé de partir dans l'espace, de s'exiler. Aucun des deux camps n'a pensé aux désastres pour les habitants de ces pays touchés. Il en venait parfois à se demander si ces bureaucrates auxquelles ils désobéissaient sciemment étaient toujours des êtres humains.

L'ordinateur sonna. Il se désintéressa du hublot à contrecœur pour aller vers le tableau de bord de son petit vaisseau:

— Hey Jerry ! Comment vas-tu ? Que la paix soit sur toi compagnon.

— Paix à toi aussi Hamin. Je ne m'attendais pas à ce que ce soit toi ce matin. Où est le commandant ?

— C'est pour ça que j'appelle. La mine du dénommé Hamin passa de son sourire de prime abord à une mine dévaster.

— Il est mort Jerry. Les russes se sont ramenés ici et...

—...Il y a des blessés ? D'autres sont morts ? Commença à paniquer le trentenaire.

— Je n'en sais rien, j'ai suivi les ordres d'évacuations. Je suis actuellement dans un bunker avec ce que j'ai pu emporter de technologie mais ça va bien faire une heure ou deux que je suis là. C'est le silence complet ici.

— Qui d'autre avec toi?

- Juste mon équipe inshallah. A cette heure-là, aussi tôt le matin, tu sais très bien qu'on est peu nombreux. C'est pour ça qu'on n'a pas pu résister à l'assaut.

Jerry passa les deux mains sur son visage comme pour se réveiller d'un mauvais rêve. Hamin avait senti son malaise malgré la vidéo de mauvaise qualité.

— Ils savaient Jerry. Ils ont choisi cette heure-là exprès. Ils ont forcément un satellite espion qui est passé à côté de tes radars.

— Es-tu capable de me donner ses coordonnées ?

— Ca ne servirait à rien. Ta mission est annulée.

— Quoi ? Mais...

— C'est la procédure. Si le commandant venait à mourir, ta mission serait annulée.

— Je sais, soupira-t-il, j'ai lu mon contrat.

— Ecoute. On a vraiment besoin d'un soldat comme toi ici, inshallah. Je m'occupe de la technique et on voit ce qu'on peut faire pour te faire rentrer au bled. Je te rappel.

    Sur cette phrase, il coupa la communication pour que Jerry ne puisse ni répondre ni protester. Il revint alors vers le hublot et soupira lorsqu'une... comète ? Traversa la planète pour atterrir sur son pays natale. Il attendit plusieurs secondes qui lui parurent interminables jusqu'à ce qu'il vit, horrifié, une énorme boule de feu se former d'un océan à l'autre: "NON !" Hurla-t-il.

    Non! Ils n'ont pas pu. Une aussi grande bombe visible depuis l'espace? Mais c'est quoi ce bordel! Une telle explosion ne pouvait avoir fait aucun survivant, même dans un bunker. Bientôt, d'autres bombes similaires atterrirent un peu partout sur la planète et la Terre ne devint qu'un amas de feu et de cendres. Le dernier Homme, regardait ce spectacle que certains auraient trouvé magnifique s'il n'avait été aussi tragique; ses poils de barbes, toujours en boule en train de tourner dans la cellule, en apesanteur. Le monde était encore si beau, il y a 32 minutes et 16 secondes.