Solitude

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-Pensez-vous qu'il puisse s'agir d'une fugue ?

-Non.

-Pourquoi pas ?

-Elle me l'aurait dit.

-Vous étiez proches ?

-Pourquoi parler d'elle au passé ?

L'inspecteur regarda l'adolescente et soupira. Adrianne avait conscience qu'elle l'énerverait mais elle ne l'aimait pas. Une semaine que sa sœur avait disparu, une semaine qu'elle n'avait pas eu de nouvelles d'elle et cet inspecteur avait toujours l'air de penser qu'il s'agissait d'une fugue et voilà qu'il se mettait à parler d'elle au passé comme si on ne la retrouverait jamais.

-Vous êtes proches ? reprit l'inspecteur.

-C'est ma sœur jumelle.

-Je connais des jumeaux qui ne sont pas proches du tout, vous savez.

-Ah bon ? Pas moi.

-Je vois...

Un blanc s'installa entre eux. Adrianne voulait rentrer chez elle. Elle venait au commissariat tous les jours, espérant qu'ils aient une piste, quelle qu'elle soit, mais ils n'avaient jamais rien. Adrianne était convaincue qu'ils ne cherchaient pas vraiment, tous persuadés que Emma avait fugué.

-Ecoutez Inspecteur Doscet, Emma n'est pas une fugueuse. Elle me l'aurait dit, on se dit tout.

-Mademoiselle Mac Cover. Parfois on veut juste partir. Sans prévenir personne. Et puis ensuite on revient, au bout d'un certain temps.

-Combien de temps ? Encore combien de temps avant que vous éloigniez l'hypothèse d'une fugue ?

-Encore une semaine. Puis on envisagera d'autres pistes.

Adrianne soupira, lassée de son entêtement. Emma n'avait pas fugué. Pourquoi ne comprenait-il pas ?

-Vous pouvez rentrer chez vous, Mademoiselle Mac Cover.

Elle ne se fit pas prier.

A dix-huit heures on sonna à sa porte. Adrianne alla ouvrir, un peu surprise car elle n'attendait personne.

-Bonjour.

Derrière la porte se trouvait Nina, son amie la plus proche. Nina était une très jolie fille, elle avait des yeux miels qui s'accordaient parfaitement à ses longs cheveux châtains et à ses sourcils fins, des joues rebondies du même rose que ses lèvres délicates, l'ensemble était ravissant.

-Je suis venue te donner les devoirs, ça fait longtemps qu'on ne t'a pas vue en cours, commença Nina.

Adrianne la fit entrer. Elle habitait une grande maison, trop grande à son goût.

-Ton père n'est pas là ? remarqua Nina.

-Non il est parti hier et rentre demain. Le travail avant tout.

Elles enchaînèrent sur lesdits devoirs. Les deux jeunes filles étaient dans la même classe de terminale ES. A vrai dire elles étaient dans la même classe depuis la primaire. Au collège et au lycée, elles avaient noué des liens avec de nouvelles personnes, avaient agrandi leur groupe d'amis. Mais même si un jour Adrianne perdait contact avec ces nouvelles rencontres, elle savait qu'il lui resterait toujours Nina.

Adrianne n'était pas réservée mais elle n'aimait pas pour autant se livrer aux autres, elle n'aimait pas se confier. Alors le seul être à tout savoir d'elle était sa sœur, Emma était comme la seconde moitié d'Adrianne

-Je ne pense pas que Emma ait fugué, lança Nina d'une petite voix.

Nina savait qu'il était dur pour Adrianne de parler de sujets personnels, qu'elle ne le faisait pas naturellement. Mais Adrianne s'était douté que Nina n'était pas venue seulement pour les devoirs. Elle était sa meilleure amie et s'inquiétait pour elle.

-C'est ce qu'ils ont dit dans le journal local, poursuivit Nina, mais je n'y crois pas. Je sais qu'elle t'aurait prévenue. Je suis sûre qu'on va la retrouver.

-Elle n'a pas fugué. Mais si ce n'est pas une fugue, alors que lui est-il arrivé ? Je n'ose pas m'imaginer où elle est en ce moment même, j'ai trop peur. Au moins si c'est une fugue, où qu'elle soit, elle y est par choix.

Nina haussa les épaules et sourit tendrement, ne sachant pas quoi répondre face à la confidence qu'Adrianne n'aurait jamais fait en temps normal.

-Quoi qu'il en soit, ce serait bien si tu revenais au lycée. Au moins demain. Je passe te prendre vers sept heure et demie, d'accord ?

-Comme tu veux...

Une fois Nina partie, Adrianne fut seule. Complétement seule. La maison lui sembla alors vide et grande sans sa jumelle. Son père avait fait l'effort de rester avec elle quand Emma fût portée disparue mais il avait toujours fait passer son travail avant ses filles alors il était déjà reparti. Il était responsable des affaires étrangères d'une compagnie de voiture française, il était toujours en déplacement et rarement chez lui. Adrianne s'était habituée à cette situation, elle avait un père absent. Mais jusqu'à présent, Emma avait toujours été là, avec elle, maintenant que ce n'était plus le cas Adrianne se sentait seule. Elle était seule avec son inquiétude.

Adrianne décida alors de monter dans la chambre d'Emma. Elle n'y était pas allée depuis qu'elle avait disparu, elle avait peur de voir cette pièce sans sa jumelle, sans l'habituelle musique qu'Emma écoutait trop fort à longueur de journée, sans John Lennon, leur chat noir qui passait son temps à dormir sur le lit de sa sœur, sans la douce lumière des guirlandes qu'Emma allumait dès que la nuit tombait. Où qu'elle aille, Emma arrivait toujours à créer une ambiance agréable, apaisante.

Adrianne pris son courage à deux mains, grimpa les escaliers jusqu'au troisième étage, s'engouffra dans le grand couloir sombre, sans même prendre la peine d'allumer la lumière, arriva devant la porte et s'arrêta un instant. Était-elle prête à remettre les pieds dans cette pièce ? En avait-elle seulement envie ? Non.

Pour l'amour d'EmmaWhere stories live. Discover now