CHAPITRE III

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Plongée en plein rêve, le bruit d'une musique vient déranger ma quiétude. Au fur et à mesure que j'émerge, la musique persiste et je reconnais la voix de Jacques Brel dans sa chanson Amsterdam. En m'évitant le plus de geste possible, je balance mon bras en arrière pour tenter d'atteindre le tabouret qui me sert aussi de table de chevet sur lequel mon téléphone repose. En vain.

Je me retourne pour de bon et arrête le réveil. Je laisse ma tête retomber sur l'oreiller pour profiter des quelques dernières minutes de tranquillité avant de démarrer une nouvelle journée. Vite dérangée par l'arrivée d'un message qui me rappelle soudain ma brève conversation de la veille avec Thomas.

A mon grand soulagement ce n'est pas lui mais Ricki. Ce qui me fait aussi penser qu'il faut que je la prévienne de ce qu'il s'apprête à se jouer entre Thomas et moi.

Ma seconde alarme se déclenche. Il faut que je m'active. Je ne peux pas être à la limite du retard tous les matins. Je sors de sous ma couette et enfile un jean déchiré au niveau du genou gauche dans lequel je me coince l'orteil. En vitesse, j'enfile le pull gris que j'ai piqué avant mon déménagement dans les cartons que maman a fait avec les affaires de papa.

Je tenais à emmener un petit bout de lui avec moi. Je ne l'ai pas dit à maman parce que je sais comment elle aurait réagi. Un sourire ému et des larmes. Beaucoup de larmes. Mais je n'avais pas envie de pleurer, moi. Je voulais garder ce pull en me rappelant ce qu'il représentait de papa et j'aimais bien l'idée de l'avoir dérobé en douce. Je suis sûre que ça l'aurait fait rire.

Je claque la porte derrière moi et descends l'escalier de l'immeuble en trombe. J'arrive en classe après le prof mais il est toujours en avance alors ça ne compte pas. Puis l'université ce n'est pas le lycée. Il ne me refuserait pas l'entrée à son cours même si j'avais vingt minutes de retard.

Je pose mon sac à côté de celui de Ricki et la préviens :

- Je vais au pipi room.

Je ressors de la salle et reviens sur mes pas pour atteindre les toilettes. En me lavant les mains, j'inspecte rapidement mon reflet dans le miroir. Je détache mon chignon complètement défait et dresse un peu mes cheveux avec mes doigts. Le résultat est meilleur.

Dans la précipitation, j'ouvre la porte des toilettes et me cogne durement contre quelqu'un.

- Tiens donc. Ma partenaire de jeu préférée, il s'exclame.

- Il n'y a pas de jeu, je rétorque froidement en croisant les bras sous son regard dominant.

- Non, non, non, il bouge son doigt devant moi en se rapprochant d'un pas. Hier soir tu étais partante. Tu n'as plus le droit de faire machine arrière.

Il recule à nouveau et je peux enfin respirer autre chose que l'odeur de son parfum doux qui contraste avec l'image qu'il laisse paraître de lui-même.

- Tu vas voir, on va bien s'amuser.

Je me sens raidir à la simple évocation de ce mot « on ». Il avait une toute autre signification avant. Il nous représentait tous les deux, ensemble. Parce qu'on faisait les choses ensemble. Parce qu'on avait besoin de personne en dehors de l'autre. Mais ce « on » avait disparu de sa bouche. Jusqu'à aujourd'hui.

Je le lâche du regard et m'aperçois que la porte de la salle a été fermé, ce qui veut dire que le prof a commencé son cours. Je soupire et m'avance en essayant d'oublier les pas de Thomas qui résonnent dans mon dos. Sans le voir, j'arrive à percevoir son sourire narquois. Il l'arbore chaque fois que je baisse les bras face à lui. Qu'est-ce que je peux haïr ce sourire qui me rappelle que j'ai été faible. Encore une fois.

DIS-LE (nouvelle version)Where stories live. Discover now