La déchirure

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Alors je t'ai brisée, presque inconsciemment. Je me suis montré distant, t'ait fait comprendre que je pouvais partir d'un instant à l'autre pour me rendre désirable. Sous le joug de la menace, tu as arrêté de voir les autres garçons. Je ne me sentais pas mieux, il me fallait plus. Je t'ai traitée en reine, me suis montré merveilleux. Je t'ai liée les mains avec une corde de bonnes actions. Mais je sentais que tu pouvais toujours t'échapper, qu'en un battement d'ailes tu pouvais disparaître de ma vie. Alors j'ai serré tes liens un peu plus fort. Il fallait que tu comprennes que tu avais  de la chance de m'avoir, que j'étais le seul capable de t'aimer. J'ai commencé à m'attaquer à ta confiance. Je te connais si bien, c'était facile de frapper là où ça faisait mal. Je cachais mes critiques sous de pseudo-compliments pour que tu ne te rendes compte de rien. Ca a marché. Tu t'es sentie redevable, tu étais plus que jamais attachée à moi. Et pourtant tu ne m'aimais toujours pas. J'avais seulement réussi à créer un lien de dépendance. Ce lien était toxique et ses exhalaisons me donnaient la nausée. On s'avançait, nauséeux, dans les marécages de l'amour. Tout était de ma faute. 

Je me suis rendu compte que j'avais détruit quelque chose que j'étais incapable de reconstruire. En même temps, comment mes mains abimées auraient pu reproduire le travail de Dieu ? Je regrette tant ma stupidité. J'avais cassé mon idole et j'en contemplais les débris. Il restait certes les lèvres carmins, mais plus le sourire qui allait avec. Les yeux noirs subsistaient, mais la pointe de rage qui y perçait avait été remplacée par la recherche désespérée d'approbation. Tout en étant semblable tu n'étais plus la même. 

Pardon Ana, pardon ! Je pensais que te rendre humaine était le seul moyen pour que nous soyons heureux ensemble, mais notre amour ne peut exister que lorsque tu voles hors de ma portée. 

" Quelles sont vos relations avec la victime ?" m'a demandé le policier. J'ai gardé le silence. Qui sommes-nous ? Des amis, des amants, des ennemis ? Suis-je ton bourreau ou es-tu le mien ? N'as tu pas tenu la hache avec laquelle je t'ai soigneusement découpée ? "Je ne sais pas, je ne sais plus." ai-je répondu, puis j'ai passé mes mains tremblantes dans mes boucles brunes et enfermé mon visage entre mes bras. Je ne voulais plus voir le monde. Ce monde qui nous a englouti, Ana. O monde, après tout, tout est de ta faute ! Mais me voilà devant mon miroir et je condamne mon visage. Ce si joli visage qui vous a amené à votre perte. Ces yeux verts dans lesquels vous vous êtes noyées. Ce sourire qui vous a charmé. Ces mains qui vous ont étreintes si fort que vous avez succombées. Et surtout, ce cœur inoffensif, si toxique, qui a empoisonné toutes celles qui ont voulu s'en approcher. Mila. Tombée dans l'anorexie. Camille. A déménagé loin d'ici, ou plutôt a fui. On ne l'a plus jamais revue. Grace. Dévorée par la drogue et l'alcool. Et toi, toi... inconsciente dans un lit blanc. 

Je suis si désolé d'avoir croisé votre chemin. J'aurais voulu savoir aimer, mais le ciel ne m'a pas donné ce don. Mes mains ne que détruire, pas étreindre. Ces mains, mon fardeau, ma malédiction ! Ces mains incapables, incapables de retenir les gens que j'aime ! C'est important que j'écrive ces excuses. Je profite de mes derniers instants de culpabilité pour me confesser. Ma main, stupide incapable, guidée par les remords, écrit les mots justes. Mais demain sera une autre affaire. Demain j'aurais oublié. Demain je recommencerai à tisser ma toile jusqu'à ce qu'un nouvel être volant soit pris au piège. Je n'ai pas envie que ça arrive, et pourtant, c'est toujours la même chose. Je suis prisonnier. Mes seuls moments de liberté sont ceux où j'entraine quelqu'un dans ma cage. Tu étais cette personne. Pardon Anaële, encore pardon. 

Les policiers m'ont demandé les raisons de mon acte. Je n'ai pas pu répondre. Peut-être que c'était de me réveiller à tes côtés, voir ton joli visage, visage qui baignait dans le bonheur, et le lendemain la déchirure de ton absence, tes disparitions, tes mystères, tes cernes sous les yeux. Mon cœur qui s'arrête quand tu t'éloignes. Mais corps qui hurle quand tu reviens. C'était d'entendre tes larmes la nuit, ton âme qui s'effrite, la musique qui depuis longtemps ne joue plus. Tu ne danses plus. Ton rire n'est plus cristallin. Il n'est plus qu'un écho. Et puis tu avances tête baissée, lumière éteinte, ailes coupées. Et puis il y a tes murmures dans mon oreille "Erèbe, prince de la nuit, roi de mes jours." et cet amour que tu déposes à mes pieds vainqueurs, cet amour si désiré, si durement acquis, et qui maintenant me répugne. Cet amour est sale. Il n'a pas été justement gagné, je l'ai ramassé dans la boue. 

Anaële, j'aurais voulu te délivrer ces mots en mains propres, mais comme tu peux t'en douter, je n'en ai pas le droit. J'ai demandé à ce qu'on te les dépose dans ta chambre d'hôpital. 

Il faut encore que je te dise quelque chose, même si c'est douloureux. 

Je prie pour que tu cesses de m'aimer. Déteste-moi, je t'en prie, de toute ton âme. Ca ne me brisera pas. Je tue tout ce que j'aime. 

Tu n'as pas envie de rester. Tu peux encore t'échapper. Tu as encore des ailes. Tu peux toujours redevenir ange. C'est ça la vraie raison. C'était pour ça, le coup de couteau. Je voulais que tu sois un vrai ange. Les vrais anges sont des morts. 

Mon amour empoisonné risque de te suivre. Il faut que tu purifie ton corps, que tes veines se débarrassent de mon venin. Tu m'as assez résistée. Vis si tu m'aimes, meurs si tu t'aimes. 


Ton amoureux Erèbe.

Quand les anges n'ont plus d'ailes/VICE CITY 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant