2h - Sous nos masques

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J'ai dû aller pisser six fois ce soir et les six fois c'était avec elle. Ce n'est pas très glamour dit comme ça...

Mais cette fois-ci, je suis seul et je galère un peu à me concentrer.

L'alcool c'est fini pour ce soir, on passe à l'eau !

Le problème de l'alcool c'est que ça nous change. Ça nous désinhibe.

Je l'ai déjà pensé ça...

En temps normal, je devrais ne rien avoir à foutre d'elle. Je n'aurais même pas accepté son partenariat. Mais là, bourré, j'ai fait le type jaloux, le type vexé qu'elle ne soit pas franche avec moi, le type obsédé par elle... Est-ce que je dois me détester ?

Putain, concentre-toi pour ne pas pisser à côté.

H me plait. Ouais. C'est sûr. Mais je suis en train de déconner parce qu'elle, elle est en couple. Mais elle me plait, c'est certain. C'est surement l'alcool, ça améliore les gens il parait.

Après avoir enfin fait mon affaire, je me lave les mains et regarde mon visage dans le miroir d'un air dépité.

Elle avait dit que j'étais plus attirant que son copain ? Ben bordel soit il est moche comme un sac, soit elle a sérieusement besoin de lunette parce que même moi je ne me roulerais pas une pelle !

« V. »

Je sursaute et m'éclabousse un peu en refermant le robinet lorsque je croise son regard de tueuse.

- C'est les toilettes pour hommes, articulais-je difficilement.

- T'es con V, c'est mixte.

- Qu'est-ce que tu veux ?

- Mon partenaire de nuit blanche.

- T'es craquante.

- Et toi t'es encore plus bourré que moi.

- Non c'est vrai... T'es VRAIMENT craquante.

H roule des yeux avant de se masser les tempes et de m'attraper le bras pour m'emmener au patio. Il y a un peu plus de gens que tout à l'heure, surement car il y a un changement de plateau, mais elle arrive à nous trouver une place côte à côte dans un coin entouré de bambou.

Elle s'assoit en tailleur et pose sa tête sur mon épaule en me prenant la main. Son geste me trouble un peu jusqu'à ce qu'elle m'adresse enfin la parole :

- Avoue-le V. T'es pas si bourré que ça sinon t'aurais fait un carnage dans les toilettes.

- Si je l'avoue, ça veut dire que je pense vraiment que tu es craquante.

- C'est quand même l'alcool qu-

- Chut ! l'interromps-je en posant un doigt sur ses lèvres. J'en ai marre de parler à « H ». J'ai envie de parler à la vraie fille à l'intérieur de toi.

Le bout de sa langue sur mon doigt me fait presque sursauter comme son petit rire malicieux. Elle commence à s'allonger sur le banc et pose sa tête sur mes jambes en plantant son regard dans le mien. La façon dont elle me regarde et dont ses traits se sont détendus me donne l'impression d'avoir quelqu'un d'autre près de moi.

- On porte tous un masque V. Ce soir, j'avais choisi de mettre celui de l'extravertie parce que je voulais me déchaîner, oubliez mes soucis, mon copain... Je voulais être quelqu'un d'autre et être cette fille impulsive que je m'imagine dans ma tête.

- Pourquoi ne pas être toi-même ? demandé-je en lui caressant les cheveux.

- Parce que je me trouve chiante. Dans la vraie vie je suis trop sérieuse. Tout est planifié au millimètre parce que j'aime la précision. Quand j'ai un plan, je m'y tiens et je ne m'écarte pas du chemin... Ça a des avantages mais ce n'est pas celle que je veux vraiment être. Tu comprends pourquoi j'étais un peu gêné après t'avoir abordé devant la boite ? Ce n'est pas un truc que j'aurais fait. Tout ce que j'ai fait avec toi, je ne l'aurai pas fait normalement.

- Donc j'ai passé la soirée avec une menteuse.

H se mord les lèvres et ce petit geste que je trouve craquant me donne envie de l'embrasser.

Merde. Non non non non ! Retire cette idée de ta tête ! Retir-

J'interromps mes pensées en sentant son doigt sur mon menton et lorsqu'elle me murmure « Tu carbures tellement que je vois la fumée sortir de tes oreilles. T'as vu ta tête ? ».

Mon trouble devait être beaucoup trop visible pour qu'elle me dise ça.

- Je n'ai pas été honnête, continue-t-elle en me fixant. Désolé. C'est juste qu'avec toi c'était facile, j'avais l'impression que je pouvais réellement être cette fille impulsive. Tous mes gestes envers toi étaient naturels, toutes mes paroles étaient assumées. Être ta partenaire m'a beaucoup aidé... même si j'ai songé à abandonner quand tu m'as lâché.

- Je te l'ai dit, c'est parce qu-

- Je suis en couple, m'interrompt-elle, c'est ça ? T'as raison, j'aurais fait pareil, jouer la sécurité.

Je passe ma main sur son front lorsqu'elle ferme les yeux, avant de la ramener à ses cheveux.

Mais qu'est-ce qu'il m'arrive ? Qu'est-ce qui nous arrive ? On ne se connait même pas qu'on est déjà proche... Que j'ai envie de l'embrasser, elle et chaque parcelle de sa peau caramel. Mais si je le fais, j'ai l'impression que je vais briser quelque chose.

- Tu veux savoir ce qu'il y a sous mon masque ? lui demandé-je en soupirant. Un mec totalement paumé dans sa tête et dans son cœur. Un mec persuadé qu'on ne l'aimera plus voire qu'on ne l'a jamais aimé. Le genre toujours déprimé qui arrive tout de même à avoir des amis grâce à l'humour mais dans le seul but de n'être pas seul. J'ai peur de la solitude. J'ai peur que l'on me déteste. J'ai peur de me retrouver seul avec moi-même et de toujours penser à la mort.

- Qu-

- Je n'arrête pas. Si j'ai accepté ta proposition ce soir, c'est parce que je me suis dit « si je meurs demain, je regretterais de ne pas l'avoir fait ». La majorité de mes décisions sont basé sur la possibilité de mourir et que les autres meurent. Est-ce que je dois appeler mon père ? Oui parce que s'il meurt, je m'en voudrais toute ma vie. Est-ce que je dois aller à ce concert ? Oui parce que si l'un de mes amis meurt, je le regretterai. La mort me hante.

Je reprends ma respiration et rouvre doucement les yeux. Je n'avais jamais parlé de cela à n'importe qui mais l'alcool et surtout ce soudain rapprochement avec cette inconnue m'a délivré.

H a la bouche entre-ouverte et les yeux grands ouverts, sentant le poids de l'aveu que je viens de lui faire. Soudain, elle lève à nouveau sa main vers moi mais pour me caresser la joue.

« Moi aussi j'ai une peur effroyable de la solitude mais contrairement à toi qui es guidé par la mort, moi je n'ai pas le courage de prendre des décisions et d'avancer. » me murmure-t-elle en me souriant.

J'ai une furieuse envie de t'embrasser, H.

Merci pour ce souvenirWhere stories live. Discover now