Chapitre 1

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Lyanna

Plus de seize ans que je suis partie, presque dix-sept ans même, que je n'ai quasi pas revu mon père, depuis le divorce de mes parents à l'âge de six ans. Enfin si, je l'ai revu, mais à très peu de reprises, juste assez pour ne pas oublier que j'ai moi aussi un père. Je lève la tête et regarde cet immense portail qui me fait face. Je pousse un profond soupir et j'appuie sur la sonnette. J'appréhende de revoir mon père et sa famille. J'ai le cœur lourd, comme si un poids me l'écrasait. Je suis partie sans me retourner. Je me dis que demain, ça ira mieux, que demain est un autre jour et je me dis ça depuis plusieurs semaines déjà, mais je n'ai pas l'impression que ça va mieux. C'était la meilleure décision sur le moment, partir, fuir, la Suisse, ma vie, les gens, lui et elle. Fuir, s'est imposé à moi comme l'unique solution. Là, devant ce portail, je ne sais plus, je doute.

J'ai peur.

Peur, car tout se sait, tout se capture à un moment donné. Tout refait surface lorsqu'on s'y attend le moins. Rien ne reste secret, tout se révèle au monde, aux regards qui jugent et qui accusent, et surtout, qui condamnent alors que j'ai besoin d'être apaisée, soutenue, et rassurée.

Me confier ?

Pas encore, je ne suis pas prête. Se confier, c'est se mettre à nue, se risquer. Je me suis risquée avec ma mère et quand je vois le résultat... Une partie de moi me déteste pour l'avoir laissée faire, d'avoir cru en elle et en son amour.

Me confier à mon père ?

Non, sa réaction me fait peur et j'ai honte bien que je n'ai rien fait dont je doive avoir honte. Pourtant, la culpabilité ne me quitte pas, elle est de mèche avec ma honte. Me croira-t-il seulement ? J'ai donc fait la seule chose qu'il me restait à faire : j'ai fui, ma mère, ma vie et ce dégoût dont je ne parviens pas à me défaire. J'aimerais que la peur, la tristesse et la douleur s'arrêtent, qu'elles cessent de m'étouffer toutes les nuits. J'aimerais pouvoir à nouveau fermer les yeux et dormir de ce sommeil du juste, juste une fois afin de me reposer. Je n'ai rien prémédité, rien demandé, rien incité, et depuis, il y a cette distance entre moi et la vie. J'ai accepté que je n'avais plus, que je n'ai plus et que je n'aurais plus jamais cette confiance en la nature humaine, cette confiance qu'on accorde aveuglément aux gens qu'on aime et qui sont censés nous aimer en retour de façon inconditionnelle.

N'est-ce pas le rôle de tous parents ? Aimer, sans rien attendre en retour !

Si ça l'est, eh bien, ce n'est indubitablement pas celui de ma mère et encore moins celui de mon père qui a brillé par son absence toutes ces dernières années.

Penser à tout ça me fait angoisser encore plus. Dans ces moments-là, je fais glisser mon pouce sur mon poignet longeant le bracelet de ma montre. Ce simple geste me reconnecte illico à la réalité et mon humeur devient plus sombre. Lorsque j'ai pris mon téléphone pour demander à papa si je pouvais les visiter, il a d'abord été surpris, cela faisait des années qu'il n'avait pas eu de mes nouvelles, avant de laisser exploser sa joie en m'annonçant qu'il serait ravi de me revoir et de m'accueillir. Avec mon père, on s'est aimés à distance, presque sans jamais se voir ni se revoir. Un amour sans attache, avec ce sentiment de tristesse qui nous envahit quand on pense à l'autre. Ça a été terriblement douloureux et difficile au début, mais le temps a fait son œuvre, atténuant mon chagrin et ce sentiment de solitude qui me sont devenu familiers et coutumiers. Nous n'avons jamais cherché à forcer le destin, ni à nous revoir, on s'appelait, s'écrivait des lettres qui ont ensuite laissé la place à des mails, et enfin, occasionnellement, à des conversations via la webcam et Viber, mais tout cela s'est étiré au fil du temps. On s'est pensés, tout en restant silencieux. Aujourd'hui, je le regrette. Je me dis que j'aurais adoré qu'il occupe une place plus importante dans ma vie.

Quand la lune embrasse le soleil ( tome 1) ( édité et dispo sur amazon )Where stories live. Discover now