Encaisse-le.

12.1K 828 80
                                    

        "Bonjour à toi, mon vieux. C'est bon de te revoir", m'insuffla ma conscience alors que je gribouillais les chiffres notés au tableau sur mon cahier d'algèbre. Peut-être bien qu'on m'aurait détecté une grave forme de schizophrénie si je l'avais prononcé à voix haute, mais j'étais persuadé de posséder deux facettes complètement opposées quant à ma personnalité. Aujourd'hui, ma censure prenait fin, j’accueillais ma facette la plus sombre en véritable sauveuse. J'avais décidé de laisser mon esprit peu scrupuleux s'exprimer, les barrières tombaient et j'étais à présent libre de reprendre ma vie de connard là où je l'avais laissée. En tant que petit-ami trompé et ami trahit, j'avais maintenant l'impression d'avoir assez d'expérience dans la vie pour témoigner dans l'une de ces émissions où les gens parlaient des grandes épreuves de leur vie avec une note d'émotion palpable dans leur voix. C'était comme une vie paradoxale dont jamais je n'aurais un jour soupçonné l'existence. Je ne pouvais pas devenir responsable, fidèle et attentionné et me faire larguer du jour au lendemain comme un chien sur une aire d'autoroute par une fille qui désirait prendre des libertés avec mon meilleur-ami... Si j'avais toujours espéré transpercer le cœur d'Anderson avec l'une des flèches du carquois magique de Cupidon, elle m'avait répondu avec un coup de bélier brut qui avait réduit le mien en bouillie. Alors peut-être qu'aujourd'hui, il était temps d'envoyer les idées pacifiques, les dommages et intérêts ainsi que les négociations, aux oubliettes. J'allais l'oublier, l'effacer et la replonger dans l'ombre dont elle ne sortirait plus jamais. Jenny Anderson n'était plus qu'une araignée supplémentaire dans mon placard aux horreurs. Le bon vieux Nathan était de retour, prêt à redevenir le leader sans état d'âme, le dieu du sarcasme, et le tombeur de ses dames. Fini les amourettes stupides. Je ne laisserai plus jamais quiconque atteindre mon cœur. Il serait désormais bien gardé, sous scellé dans un coffre fort blindé en haut d'un donjon imprenable, histoire d'être sûr que personne ne merde de nouveau avec mes sentiments. Ma vie devenait cet emmerdant et gros paquet de nœuds que je peinais à démêler. Une équation risquée et trop compliquée qui risquait de me faire exploser à tout moment à cause d'un mauvais dosage sur la substance qui aurait dû être rendue illicite. Une substance appelée Amour, qui vous balançait de la belle poudre aux yeux jusqu'au jour où vous vous rendiez compte des artifices. Enfin... Même cette équation était facile face aux calculs incompréhensibles que notait mon professeur de maths au tableau. Je soupirais et repartais dans mes divagations, même si je savais qu'en ce moment-même, ma classe ressemblait à un véritable zoo. J'étais le singe épié derrière la vitre par des touristes idiots armés d'appareils photos mitrailleurs, et je n'osais même pas penser à ce que ça devait être pour les deux autres protagonistes de l'histoire... Ennuyé et feignant, j'étais maintenant fasciné par les dessins mortifiants que faisait naître mon esprit malade d'ennui quand des murmures me poussèrent à croire qu'il avait enfin quelque chose d’intéressant à voir. Sauf que ce n'était pas vraiment quelque chose qui aurait dû m'intéresser... En voyant un visage triste s'inviter ​parmi les élèves derrière la vitre rectangulaire qui découpait la porte, Monsieur Philips me jaugea avec un air mauvais puis décida de fermer les stores. Oh, chouette, encore elle. Non seulement Jenny se battait pour rester dans mon cœur, mais elle se battait également pour rester dans mon champ de vision. Jamais je n'avais éprouvé autant de reconnaissance envers Philips qu'à cet instant où il avait tiré sur la corde pour la faire disparaître, elle et son regard de cocker attristé. 

—On dirait bien que vos ébats amoureux sont plus compliqués que les feux de l'amour, Bellamy, rétorqua-t-il à mon intention lorsqu'il passa dans les rangs pour​ vérifier les calculs en promenant son regard loucheur sur mes dessins. 

        Un sourire naquît sur mes lèvres, sa cruauté était tout à fait prédictible. 

—C'est dommage qu'on ne puisse pas en dire autant des vôtres. 

Love comes from HateWhere stories live. Discover now