Chapitre XI : "Quel est mon nom, déjà ?"

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Comment une nuit si belle et si douce peut-elle être aussi cauchemardesque ? 

Je n'ai même pas essayé de dormir dans ce lit démesuré qui n'est pas le mien. Je sais déjà que, dès que je fermerai les paupières, l'image d'une hache rutilante qui s'abat sur ma nuque surgira dans mon esprit en ébullition. Après le départ de Sylvan, j'ai pleuré pendant une heure jusqu'à ce que mes yeux soient secs. A présent, je n'ai plus aucune larme à verser. Elles ne servent à rien, de toute façon. Elles ne me sauveront pas. Pas plus que les prières : ce n'est pas à la Déesse de l'Océan que je pense en cet instant.

Mon front collé à la baie vitrée, mes mains mollement pendues à mon collier en or, je contemple la lune et les étoiles en songeant à ma famille qui me manque terriblement. Le sourire espiègle de mon frère. Le regard aimant de ma mère. Des souvenirs d'enfance déferlent dans ma mémoire. Nous avons vécu des coups durs, certes, mais nous étions plutôt heureux autrefois. Avant la guerre. Cette époque me semble si lointaine...

Je me sens affreusement seule.

Daegan a tort. Je pourrais m'infliger du mal avant que les gardes dans le couloir ne s'en rendent compte.

Oui, je pourrais me suicider pour dérober à Sylvan la satisfaction de me faire exécuter. Me pendre à la structure du lit à baldaquin avec les draps, par exemple. Ou briser un miroir enveloppé dans des tissus pour étouffer le bruit afin de m'ouvrir les veines des poignets avec un tesson de verre. 

Sauf que je n'en ai même pas le cran. 

Les heures s'égrènent comme les grains de sable du sablier de mon existence. Je les entends presque tomber un à un. Ploc. Ploc. Ploc.

Quel est mon nom, déjà ?

Alena Kan-Gelane ?

Je secoue la tête pour moi-même. Je ne suis plus cette femme.

Alena Ren-Falune ?

Non plus. Je ne serai jamais cette femme.

"Ne renie pas ton nom, mon petit saphir," m'a dit une fois ma mère en souriant, me piquant le bout du nez avec son index. "Ton identité, comme tes racines, est ancrée dans ton âme pour l'éternité."

J'ai failli à ma promesse, mère. Pardonne-moi.

Je ne devrais pas regretter ma décision. Si j'en suis là aujourd'hui, au sein de ce palais hostile, c'est pour elle et mon frère. A un moment donné de ma vie, j'ai dû faire un choix. Ma mort garantira leur survie et leur sécurité dans le royaume Gelane. 

"Un sacrifice nécessaire", m'a-t-elle dit.

Pourvu qu'elle tienne parole.

Je regarde mon reflet dans la vitre. Mon maquillage a coulé : deux traînées noires zèbrent mes joues blanches.

Une étrangère.

Ce visage est la source de tous mes ennuis.

Ma malédiction. Ma condamnation à mort.

Non. Je ne suis pas Alena Kan-Gelane.

Je ne suis qu'un grain de sable au milieu du Désert Rouge.

***

– Les Falunes ont ouvert une brèche dans les remparts sud ! crie un homme qui court dans la rue bondée, une épée de mauvaise facture au poing. Océanar est perdue !

Sous mon capuchon blanc qui camoufle ma marque royale au front, j'échange un regard avec ma mère, Bleuène. Son visage rempli de peur, de tristesse et d'inquiétude est certainement le reflet du mien. Ses doigts squelettiques pressent ma main. 

La Reine Courtisane (publié chez Black Ink éditions)Where stories live. Discover now