"Tu as pleuré ?"

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« Ma mère m'a emmené à Athènes lorsque j'étais plus jeune.

Puisque plus personne ne vit là bas depuis la grande réforme, il ne restait à l'époque plus que des bâtiments envahis de verdure, et sur la grand colline de l'acropole, j'ai premièrement eu l'impression de m'être perdu dans un musée géant, ou d'avoir atteint le bout du monde. »

Lorsque Faust marqua la fin de sa phrase, ses yeux contournèrent le bout de ses doigts avant de se tourner vers les miens, en oblique puisque son torse n'était pas vers moi. C'était un air trop félin à première vue mais j'y reconnus rapidement de l'hésitation et une once de doute face à ce qu'il venait de me confier. Peut être y avait il la crainte significative de m'ennuyer avec ses histoires, et c'est avec cet air moyennement agressif qu'il me le signifiait sans le vouloir ? C'était surement ça. Du moins j'espérais que ce le soit.

« Et qu'est ce que tu as fait une fois là haut ? »

Ma voix n'était pas aussi claire que je ne l'aurais souhaité.

« J'ai pensé que tu te souviendrais. » Un sourire malicieux naquit sur la commissure de ses lèvres. « C'est là que je t'ai écrit la carte postale. »

J'ai marqué une pause sans le vouloir, juste avant qu'une vague de petits souvenirs, de bribes de voix, d'odeurs d'autrefois ne m'envahissent comme la houle.

***

« Salut miss S !

Je rentre bientôt, je serai rentré quand tu liras ceci.

La maison me manque beaucoup, mais je me dis que je ne ressentirai cette nostalgie que pendant ce présent séjour. Il faut que j'en profite ! Ma mère te passe le bonjour.
Voici ci-joint une partition que j'ai acheté chez un antiquaire du coin, et j'ai pensé à toi. Mon solfège est médiocre, mais j'espère que tu sauras apprécier ce souvenir d'Athènes.

A bientôt Sina,

Faust »

Aussitôt je me suis transformée en spectatrice d'un jeune Faust m'écrivant sa lettre, sa voix enjouée et ses cheveux blonds barbouillés d'or.

Ses sourcils bruns au dessus de ce même regard.

***

Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Tu as pleuré ?

J'aimerais que tu arrête tes remarques stupides. Elles ont de l'importance pour Sina et elles se répercutent sur moi, je me fiche personnellement de ce que ça peut te faire mais je ne supporte pas que ton égoïsme puisse te faire croire que tu puisses te comporter ainsi. Arrête d'être aussi stupide.

D'ailleurs, tu crois que je le prends comment ? Le fait de devoir ramasser tous les débris de verre à chaque fois ?

Est-ce que j'ai fait l'erreur d'avoir l'air de n'en avoir trop rien à faire ? Si c'est le cas, tu te méprends.

Dans un automatisme simple, le bout de mes doigts trouvèrent l'épiderme du poignet de Faust, dont la posture précédemment raide et agressive, se fut adoucie sous mon contact. La limite entre sa manche grise et le début de sa peau était éphémère. Mes doigts manquaient de s'enlacer entre les siens avant que je ne me reporte à réfugier ma main dans la sienne, il cilla. Mes doigts repliés contre sa paume, il n'y avait en lui que des ombres de mouvements, comme ses doigts autour des miens ou sa mâchoire s'apprêtant à se resserrer pour se désister par la suite. Il se retourna rapidement vers moi, de toute sa taille, son menton au niveau de mon front et ses yeux qui m'observèrent silencieusement, l'air le plus concerné du monde, ses longs sourcils froncés, et sa petite colère au sein de son expression sombre.

Je vis tout. Le duvet blond et presque imperceptible sur les limites extérieures de ses joues, la forme concave de son nez, dont les angles s'adoucissaient en courbes tendres. Je ne le haïssais plus.

« Ca va, je m'en fiche. » Ma voix dans l'air, comme un coup de fouet rauque.

Il s'apprêta à me signifier quelque chose avant de s'estomper en plein élan. Encore dans l'émotion, mes paroles ne représentaient qu'une suite de mots pour lui, qui n'avait pas bougé. Je voulais ne plus être là. Mais pour des raisons qui m'étaient inconnues, ma main ne voulait pas quitter la protection de la sienne, il n'avait pas resserré son étreinte, mais sa main demeura dans la même position, comme une carapace, une extension de la mienne. Je vis le sentiment lancinant dans son regard, et je sus alors qu'il était touché lorsque ses yeux se baissèrent avant de se redresser en ligne droite vers moi, banale interlocutrice. Il était rare de le voir se laisser sembler aussi attentif. Il avait baissé une garde dont j'ignorais l'existence. Mais sous l'action du moment, je ne m'en souciais plus du tout. J'ai clos mes yeux givrés pour oublier la nuance pourpre et brûlante de mes joues.

Nous quittâmes la pièce après des mots lancés à la dérobée vers le garçon qui était de toute manière trop lent, ou désinvolte pour s'excuser ou avouer sa négligence. Je voulais disparaître, il m'était inacceptable pour moi de me montrer aussi faible et ridicule, mais pourtant...

Je ne le haïssais plus.

Je n'avais guère lâché sa main. Et il m'aurait fallu plus de force, plus de courage pour simplement m'en aller comme je l'aurais souhaité, puisqu'il m'aurait peut être simplement fallut de le souhaiter.

Le temps était trop lent et je me surprenais sans grand étonnement repenser à cette lettre mièvre, les souvenirs m'envahirent comme un cheval de Troie.

« Je te déteste » La sonorité pathétique de ces syllabes soulignaient mon incompétence à me montrer encore une fois sincère. On aurait dit une enfant qui venait d'être grondée. Les pulsations de mon coeur frappaient le creux de ma cage thoracique, elles semblaient vouloir sortir de mon pouls pour finir éparpillées sur ses mains tendres.

Nous étions en train de marcher dans les couloirs, son regard agile sur le devant et le mien, trop lâche, taciturne, voguait sur les murs. Il y avait l'odeur de la peau de Faust dans l'air, comme un voile de soie blanche.

Il s'arrêta, je sentis ses doigts s'étrécir trop fortement sur ma main, et son pouce s'était faufilé dans le creux de ma paume. Reste Je le fixais alors, et l'extrême lassitude qui s'était peinte sur mon visage n'était qu'une façade pour les larmes que j'aurais aimé garder à tout jamais pour moi.

« Je te déteste. Va-t-en, ne me parle plus jamais.

- J'ai pas envie. »

L'arrogance inhabituelle dont il fit preuve provoqua mon mutisme, je voulais détourner mes yeux mais il se pencha vers mon visage. Il n'y avait plus de chaleur, tout ne fut que glace et j'ai eu froid en nous. Soudainement apparut une vue panoramique sur les tâches de rousseur de son nez et l'agressivité de son expression. Arès dans ses traits. Il se rapprocha vers mon épiderme blanchâtre, dans un mouvement presque doucereux.

« Ne sois pas aussi pitoyable, Sina, j'ai vu mieux venant de toi. »

Ses mots étaient équivoques, tissés dans l'ordre parfait dans le but de provoquer la réaction escomptée. Ce n'était pas le moment cependant d'utiliser son élocution pour obtenir avec fourberie ce qu'il désirait. Je cherchais à dégager ma main, d'un coup brusque mais mon poignet se retrouva sous sa domination.

« S'il te plait » Ses yeux et sa voix s'emmielèrent dans une ironie cruelle et soudaine : « Ne sois pas aussi pitoyable.»

Lorsque je tentais à nouveau de quémander mon poignet, celui-ci était déjà émancipé, et Faust sur le point de partir dans la direction inverse. Je fixais alors ma main, dont les traces claires laissées par ses doigts reprirent leur uniformité rosâtre. C'était comme un vide.

Bribes hasardeusesWaar verhalen tot leven komen. Ontdek het nu