Chapitre 1

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Il est 7h50 et une odeur de café se diffuse dans la pièce, il est bientôt l'heure de rejoindre ses élèves. La sonnerie va bientôt retentir, et pourtant personne n'est vraiment prêt. La salle est bien calme, comme tous les matins, on n'entend que les bruits des lycéens dans la cour, quelques cris et quelques éclats de rire au loin, des bruits bien familiers étouffés par l'opacité des fenêtres. Les professeurs semblent religieusement concentrés sur leurs premières tâches à accomplir de la journée, préparer leurs cours. On se croirait dans une bibliothèque, seul raisonne le bruit de la photocopieuse, des pages des carnets que l'on tourne, des cliquetis du clavier et du café bouillant se versant dans les tasses. Nous sommes au mois de mai, la perspective des vacances est dans tous les esprits, mais il fait froid, très froid, même. Quelle bien étrange météo, la température semble presque proche de zéro degrés, mais étrangement personne ne s'en plaint. Normalement, tous seraient déjà dans les bureaux de l'administration à réclamer une remise en route de la chaufferie, mais ce n'était pas le cas.

Pour l'heure il faut rester centré sur le travail et les objectifs donnés, le baccalauréat approche, ce n'est pas le moment de décrocher ni de se laisser aller à quelconque futilité.

Une femme aux cheveux blonds est assise au fond de la pièce à la fameuse table, une grande table beige où tout les professeurs viennent se réunir pour discuter ou pour travailler. Elle était vide et propre, nous sommes lundi, tout a été nettoyé vendredi-soir par les femmes de ménage.

Cette femme aux cheveux blonds ne fait pas figure d'exception au reste de la pièce car elle aussi est concentrée et demeure silencieuse. Pourtant, elle semble stressée. En fait, elle frise le burn-out, mais elle se cache dans ses livres et ses manuels pour ne pas lever les yeux et entrevoir la perspective de son échec professionnel. Elle n'a pas le temps de songer à s'arrêter, de toute façon, elle aura tout le temps de se reposer très bientôt, pense-t-elle en essayant de ne plus se préoccuper de ses états d'âme.

Elle note le froid dans la pièce sans accorder une trop grande importance à ce qui lui paraît n'être qu'un détail, de la buée s'échappe de sa bouche, elle grelotte...

-Et alors, Lucie ? Encore perdue dans tes pensées ? Il faudrait peut-être qu'on y aille, là ?

C'était la voix de sa collègue, Katy, professeure d'allemand.

-Ah oui, vas-y j'ai encore deux ou trois photocopies à faire, on se rejoint à midi, ça ira ? Ah mais au fait, tu seras à la cantine à 12h00 ?

-Oui, on est lundi, c'est une grosse journée pour moi donc je ne rentre pas entre deux cours.

-Parfait, alors à tout à l'heure.

Katy prit sa serviette et sortit de la salle des professeurs au son de la cloche qui masquait presque le bruit de ses talons. Bientôt le couloir devenait bruyant et bondé. Lucie devait y aller, elle prit sa dernière gorgée de café et sortit en toute hâte de la salle, elle y retourna brièvement car elle avait oublié son sac et son ordinateur. Décidément, elle était bien dans la lune ces temps-ci.

Elle se rendit au dernier étage de l'établissement, ses élèves l'attendaient devant la porte de la salle de classe, vaguement en rang par deux et toujours aussi bruyant, ce bruit l'agaçait profondément au fur et à mesure des années. Elle tenta de ne pas montrer sa fatigue, un professeur se doit d'assurer son cours sans fléchir, car après tout c'est un modèle, un acteur menant sa propre pièce, ce n'est pas un métier où l'on peut se cacher.

Les élèves entrèrent dans la salle et bientôt tout le monde était à sa place, Lucie se dirigea vers son bureau et sortit son carnet pour faire l'appel, quatre élèves étaient absents depuis plusieurs jours, ils ne voyaient certainement plus l'intérêt d'aller en cours, l'année était déjà finie pour eux, à quoi bon se lever pour rien quand on peut lambiner à la maison ?

Le cours commença, c'était un cours d'anglais, Lucie aimait les langues, elle en avait fait sa spécialité. Déjà toute petite sa mère la trouvait toujours le nez dans les livres de grammaire et de vocabulaire de différents idiomes, pourtant, ses notes n'étaient pas extraordinaires à l'école. Ses études furent chaotique, elle se réorienta trois fois, car elle n'était pas sûre de la langue dans laquelle elle voulait se spécialiser. Puis vint un nouveau dilemme, elle hésita entre la licence de langues étrangères appliquées et la licence de langues, littératures et civilisations étrangères. Elle opta pour le deuxième choix et valida péniblement les années. Elle aimait les langues et les voyages, mais elle ne se sentait pas à l'aise dans le système scolaire et universitaire. Alors professeure-stagiaire, elle frisait déjà la dépression nerveuse. Elle n'avait aucune confiance en elle mais avait la conviction que les choses devaient changer, oui mais comment ?

-Madame, madame ! Vous pouvez venir voir, s'il vous plaît ?

Tirée brutalement de ses pensées pour la seconde fois de la journée, elle tourna machinalement la tête en direction de l'élève qui la sollicitait, puis fronça les sourcils.

-Si c'est pour me demander une énième traduction, je t'ai demandé d'apporter ton dictionnaire, tu n'es pas tout seul, j'ai trente élèves, moi ! Je ne peux pas être derrière chacun d'entre vous pour traduire des listes de mots ! Elle remarqua non sans une once de soulagement le dictionnaire bilingue franco anglais sur sa table. Tiens, pour une fois que tu as apporté ton dico, ça ne t'est pas venu à l'esprit de regarder dedans pour trouver la traduction des mots ?

Ah, mais ce n'est pas possible un tel manque d'autonomie, on ne leur apprend décidément rien au collège, pensa-t-elle.

Le cours se poursuivit dans un calme assez étrange. En fait, bien des choses étaient étranges ici, à commencer par cette température qui semblait descendre à mesure que la journée passait. Elle voyait s'enchaîner les heures de cours, elle semblait être un robot, accomplissant inlassablement les mêmes tâches.

Soudain, elle fut percée par ce que l'on pourrait appeler un éclair de lucidité, mais que se passe-t-il ici ? Je ne connais pas cette classe ! Qui sont ces élèves ? Et pourquoi ce que j'ai écrit au tableau n'est plus là ? Je ne l'ai pas effacé ! Et pourquoi fait-il aussi froid ? Mais en fait, je ne reconnais même pas cet endroit !

Elle commença à paniquer intérieurement mais tenta de ne pas le montrer à ses élèves, sans succès. La stupéfaction, la confusion et l'angoisse se lisaient sur son visage comme dans un livre ouvert. Soudain, le temps sembla s'arrêter, plus rien n'avait de sens, elle voulu courir vers la porte de la salle de classe mais n'y arriva pas, ses jambes restaient clouées au sol. Puis, elle chercha une explication dans le regard des ces élèves, mais ce n'était déjà plus les mêmes visages, ni le même nombre de personnes. La salle elle-même avait changée de couleur, les murs, il y a quelques minutes, blancs étaient bleus. Et cette température glaciale n'en finissait pas de descendre.

Les fenêtres commencèrent à geler, les vitres se fissurèrent et menacèrent d'exploser à tout instant, et la glace pénétra dans la pièce, longea les murs pour venir jusqu'à ses pieds. À cet instant, la panique qu'elle ressentit était totale.

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⏰ Last updated: Aug 23, 2018 ⏰

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Les poupées russesWhere stories live. Discover now