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17h18 - Je sors du dernier cours, mon Eastpack sur les deux épaules, satisfaite des savoirs que l'on m'a transmis. Je rêvasse, la tête calée contre l'abribus. Soudain, une main vient sauvagement pincer l'arrière de ma cuisse. Je me redresse, alerte, et le vois.

- Salut, ma belle !

Corentin est à l'origine de ce geste quelque peu déplacé. Je n'ose pas répliquer.

- Tu viens boire un verre ? J'ai un truc à te dire.

J'accepte de le suivre. On se dirige en silence vers la cafétéria. Le vent - en provenance du Nord, probablement - nous décoiffe et nous fouette le visage ; l'atmosphère se rafraîchit, au sens propre comme au sens figuré. Une fois à l'intérieur, j'attends qu'il ait fini de commander sa bière.

- Et toi, tu prends quoi ?

- J'ai pas soif.

Il se met à l'aise, affalé sur sa chaise, les jambes étalées sous la table.

- Tu devrais me laisser une chance, Rox'. Tu pêcheras pas un autre gars comme moi, même avec la meilleure canne à pêche.

- Il ne s'agit pas que de toi.

- De quoi, alors ? T'es asexuelle ?

- Non. Je parie que tu intéresseras d'autres filles. Regarde comme le campus est bondé, t'as l'embarras du choix.

- C'est toi, ma cible, à l'heure actuelle ; pas quelqu'un d'autre. Et presque rien ne me résiste.

- « Presque ».

- Je vous connais, les filles, me lance-t-il sur le faux ton de la confidence. Vous nous laissez le rôle du chat, et vous vous contentez d'incarner les souris. En bref, vous vous laissez désirer et attendez que tout vous tombe dessus.

- Quelle caricature...

- Vous faites les nonchalantes à l'extérieur mais, on ne va pas se mentir, vous attendez qu'on vous saute.

- Quoi ?! Et puis quoi encore !

Je vois sa mâchoire se serrer et sa mine s'assombrir ; il ne veut pas en démordre.

- Crois-moi. Tu tiendras pas longtemps.

Il se lève, attrape sa veste et disparaît hors du café.

Mercredi 12 septembre, 15h21 - J'aperçois Jade, au loin, avec ses amis. Je les dévisage les uns après les autres, par curiosité : une fille aux lunettes rouges dont le jean est doté d'une dizaine de trous ; deux garçons, tous deux bruns, grands et minces ; seul leur sac permet de réellement les distinguer, beige pour l'un, marron pour l'autre. Ils doivent être en pause, eux aussi. Je n'ai pas envie d'aller déranger Jade alors qu'elle converse avec son célèbre trio. J'attends qu'elle soit seule pour l'aborder. Six minutes plus tard, la voie est libre. Je m'approche discrètement, à pas de loup, et la surprends par derrière.

- Coucou !

Je me mets sur la pointe des pieds - avec des Vans pas compensées, il le faut bien - et l'embrasse sur la joue. Mince ! Je n'ai pas réfléchi. Erreur de débutante. Et si elle l'avait mal pris ? Je la regarde : son teint s'illumine et un sourire se dessine sur ses lèvres. Je suis rassurée.

- J'aime bien quand tu débarques à l'improviste.

Disant cela, elle pose affectueusement son doigt sur le bout de mon nez et le retire aussitôt.

- J'ai une heure de perm', enfin, de trou. Toi aussi ?

- Oui ! On peut aller s'installer dans l'herbe, si tu veux.

A193Where stories live. Discover now