le temps passe et ça me déprime

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J'ai l'impression que mon petit monde explose en morceaux, et que je reçois les débris sur le crâne.

Je retournerais plus jamais au lycée. Je verrais plus les enfants sauvages avec qui je partageais mes journées. On avait fondé un petit groupe d'anarchistes. On s'obstinait à coller des affiches sur les pôteaux devant le bâtiment. On distribuait des tracts pour des manifs à la sortie. On chantait l'Internationale et Bella Ciao, debout sur les bancs. On faisait des siestes dans les couloirs quand on dormait pas assez la nuit. On était libres, indignés et invincibles.

Et ça sera plus jamais comme avant. Une dizaine de personnes éclatée dans les facs, les prépas, les boulots. On peut se promettre de garder le contact, ça sera jamais que quelques heures autour d'une bouteille de bière. On ne dessinera plus jamais à la craie sur le sol de la cour, on ne dansera plus une gigue irlandaise devant le lycée.

On me répète que c'est le début de quelque chose de grandiose, une nouvelle vie, une vie de grande, une vie d'adulte. Mais moi, je veux pas abandonner mes souvenirs derrière moi en les regardant s'effacer, comme des polaroïd avec le temps. Je ne veux pas les laisser derrière moi, ces mômes aussi allumés que moi qui éclatent de rire quand je leur récite le monologue d'Aldo L'Apache de Inglourious Basterds.

Et pourtant, j'ai l'impression que le temps me file entre les doigts comme les grains de sable sur la plage. 

Je veux pas devenir quelqu'un d'autre. Je veux pas devenir une meilleure personne. Je veux juste rester la fille de dix-huit ans qui se fait refouler quand elle veut acheter du vin. Mais le temps passe. Et il se rattrape pas. J'ai beau le poursuivre, hurler des injures, arracher le macadam avec mes doc martens, il tourne toujours l'angle de la rue avant moi.

Et il me reste plus que les photos collées au scotch poussiéreux sur mon armoire, les dessins gribouillés en cours de philo, un pull trop grand, emprunté et jamais rendu, et un sentiment de vide qui pèse aussi lourd que le piano du voisin.

J'écris ce message, sans aucune chance que mes petits Gavroche le voient. Et pourtant, j'ai envie de leur dire merci.

Parce que rien ne pourra jamais être aussi exceptionnel que cette année avec eux.

Parce qu'ils sont les meilleures personnes au monde pour débattre, sur n'importe quel sujet, de Harry Potter au Capital de Karl Marx, en passant par la forme d'un nuage.

Parce qu'ils ont les coeurs les plus gros que j'ai jamais vu.

Parce qu'ils m'ont toujours poussée (parfois au sens physique du terme) à donner tout ce que j'avais dans le ventre.

Parce que c'est grâce à eux que vous lisez mes histoires.

Parce qu'ils m'ont appris à me détacher du regard des autres.

Et parce que, bordel, ils me manquent.

boom ➢ rbWhere stories live. Discover now