XXIII.

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Mon beau-père s'est éteint ce matin. Un peu avant que le Soleil ne se lève complètement. 

Johann, Béatrice et moi avons assistés au crépuscule de sa vie dans une certaine incrédulité. Nous avons espérer jusqu'au dernier moment une guérison miraculeuse qui n'adviendrait jamais, mais que pour laquelle nous prions tous. Le médecin nous a fait quérir pour lui dire au revoir car les battements de son coeur étaient au ralenti. Il était paisiblement installé dans son lit quand nous sommes arrivée. Il a posé les yeux sur nous, nous regardés longuement, puis il nous a sourit avant de s'en aller. Béatrice à laisser couler une larme mais elle est restée très digne. Quand à Johann, il n'a rien laissé paraitre même-ci je sais qu'il en a été bouleversé car en plus d'avoir perdu son père, il devenait Roi au même instant. Je sais que cela le pétrifie. J'ai aimé le Roi Pieter tard, mais une profonde connivence s'était installé entre nous se muant doucement au fil des jours en appréciation avant d'atteindre l'affection sincère des dernières semaines. Sa présence charismatique et enveloppante me manquera... Johann n'aura que très peu de temps pour faire son deuil. À l'heure où nous nous remettons à peine de l'annonce de son décès, il endosse déjà des responsabilités qu'il n'a jamais désiré.

L'annonce de la mort du Roi Pieter n'a pas entièrement parcouru le royaume que mon mari, prince et maintenant imminent Roi des Pays-Bas est enfermé depuis maintenant trois bonnes heures dans son bureau avec les conseillers. Ils préparent les obsèques mais aussi son couronnement, qui aura lieu dans la foulée comme le stipule la loi. Béatrice à demandée à ce que son titre de Reine Régente me soit remis par la même occasion. Ainsi, elle sera de ce faite démis de sa fonction et n'obéira à aucune obligation royale, mais gardera son titre de façon honorifique. Je crois qu'elle ne veut plus de cette vie faite de sacrifice et d'apparat. Elle n'a jamais vraiment été heureuse au palais et maintenant que son époux n'est plus, elle n'inspire qu'à une vie paisible sans encombre. Je ne sais pas si je suis prête à pleinement officier en tant que Reine. J'ai fait de mon mieux ces derniers jours car je me disais que j'avais le temps de m'habituer au protocole, avant de devoir soutenir Johann mais à présent tout s'est accéléré et j'ai l'impression d'être prise au piège. Si je fais une erreur, cela me sera reproché et à raison! Je n'ose exprimer mon angoisse à Johann car il est autant paniqué que moi, cependant je suis terrifiée! Pieter avait raison: il n'y a point de liberté à exercer le pouvoir me disait-il lors de notre dernier entretient. Je m'en rends compte maintenant.

...

Assis à mon secrétaire, je rédige une lettre à Sylvia pour avoir de ses nouvelles et lui conter les événements qui ébranle le château. Elle reste ma meilleure amie et confidente et j'ai besoin de ses bons conseils mais aussi de sa force, pour ce que je m'apprête à vivre. Alors que je termine ma correspondance, je tire sur un des tiroirs pour prendre une enveloppe et tombe sur le livre qu'elle m'avait offert lorsque j'étais aux aboies. Ce livre qui semblait indécent, m'a offert l'aubaine d'une vie décente et potentiellement heureuse, avec un homme que je n'avais pas choisi et qui ne m'a pas laissé le temps de l'aimer. De ce que je comprends maintenant, c'est une chance que peu de couples possèdent de nos jours. Je prends l'ouvrage entre mes mains et souris en pensant que ma tant m'aura décidément toujours sauvé de tout. Grâce à elle, j'ai trouvé un équilibre, alors que je me pensais perdue à jamais. Je relis certains passages où j'y ai fait des annotations afin de ne pas commettre d'impair. Maintenant, je ne le feuillète presque plus, préférant me laisser porter par mes impulsions ou celle de Johann. Je n'ai plus à le convaincre de faire quoique ce soit puisque nous discutons et échangeons simplement.

Je cachette l'enveloppe pour qu'elle soit envoyée le plus rapidement possible avant e déposer mon livre à sa place. C'est à ce moment que Johann fait son apparition, le visage fermé, les traits tirés par la fatigue et l'anxiété.

— Qu'il y a-t-il? Demandais-je en me précipitant vers lui.

— Je n'ai pas envie de faire tout ce qu'on me demande. Mon père n'est pas encore enterré que je dois me soumettre à toute une cérémonie grandiloquente... J'aimerais juste m'enfermer ici avec toi et arrêter de penser. Dit-il fatigué.

Je passe ma main sur son visage pour l'observer.

— Viens. Dis-je en le guidant jusqu'au lit.

Nous nous allongeons tous les deux encore habillés, il pose sa tête sur ma poitrine et je caresse ses cheveux d'une main. Je le berce pour lui procurer un peu de réconfort. Je sens bien qu'il est perdu. On attend qu'il soit fort et droit mais est-ce bon pour lui? Il ne se fait pas confiance mais je suis sûr et certaine qu'il fera un bon souverain. Il en a toutes les qualités, le fait même qu'il soit inquiet de bien faire, montre à quel point il est digne de sa tâche. Mais il a besoin d'un surplus de confiance et je suis là pour le lui donner.

— À l'âge de sept ans, je me suis fait mordre par un chien. Je me promenais près de l'écurie et le chien du contre-maitre m'a mordu, comme ça, sans raison. Je n'ai pas saignée, j'ai juste eu la marque de ses dents sur mon mollet. Après, pendant six ans je n'ai pas pu approcher un chien à cause de ça. Et puis un jour, pour apprivoiser ma peur, Sylvia m'a offert un chiot. C'était un labrador marron avec de superbe yeux bleus. Je me suis appliquée à l'élever pour qu'il ne soit pas violent avec qui que ce soit. 

— Ça a marché? Tu as arrêté d'avoir peur? Me demande-t-il dune voix presque enfantine. 

— Oui et non. Il est gentil avec moi et avec les gens qu'il estime convenable, mais il se montre agressive avec tous ceux qui me veulent du mal. C'est comme-ci, il arrivait à le sentir. Tout ça pour te dire que... on ne peut jamais vraiment contrôler les choses, on essaie juste de faire ce qu'on peut pour que cela ne nous empêche pas de vivre. Tu es Roi à présent, c'est ainsi. Il n'y qu'ici en ma compagnie que tu peux être toi même. Plutôt l'auras-tu accepté, plutôt tu arriveras à vivre avec ça. Tu n'as pas besoin de ne faire qu'un avec tes obligations, tu peux compartimenter ta vie pour ne plus avoir à la subir. Expliquais-je.

— Ce que tu dis à l'air si simple.

— Ça l'est. 

— Comment fais-tu? Comment arrives-tu à comprendre ce genre de chose? Me demande-t-il, intrigué.

— Je ne fais que laisser parler mon coeur, sans le brimer. Si tu n'étais pas quelqu'un de bien, je me serais enfuit malgré tes menaces. Tu m'aurais peut-être retrouvée, mais je ne serais pas restée, j'aurais tout tentée jusqu'à l'irrémédiable. Seulement, tu as changé et tu m'as laissé voir des choses de toi qui m'ont éblouie. Je me dis que si tu laisses ce royaume entrevoir ce que j'ai vu, tu auras tout gagné. Parce-que tu en vaut la peine.

De petites gouttes mouillent le tissu de ma robe, là où sa tête est posé et je comprends que ce sont ses larmes. Je ne le vois pas mais je sais qu'il pleure. Je continue donc à le cajoler, émue et honorée qu'il se sente assez à l'aise pour se laisser aller avec moi. Quelque chose de profond s'est installé entre nous de façon si tangible, si rapidement... Je ne savais pas qu'on pouvait se sentir autant lié à quelqu'un.

— Tu me fais tant de bien... Si tu décidais de me faire du mal Adélaïde, je crois que je n'y survivrai pas. Souffle-t-il contre le tissu demain robe. 

— Pourquoi t'en ferais-je? 

— Je l'aurai mérité tu sais.

— Tu es mon mari et je suis ta femme. Nous sommes une équipe et nous avons besoin l'un de l'autre pour réussir. Je ne peux pas jouer contre mon camp. Répondis-je, d'un ton amusé.

Il lève la tête vers moi et s'avance jusqu'à ma bouche, pour me gratifier d'un long baiser passionné. Je réponds avec la même avidité à son élan, savourant son goût avec délectation.

— Ma reine... Dit-il en jouant avec mes cheveux.

Je comprends que le titre dont il vient de m'affubler, sonne comme un véritable couronnement.

TurnoverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant