Chapitre 1

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Ellerepensait encore à lui. Posée contre le mur sous sa fenêtre, ellelaissait la fumée de sa cigarette voleter dans l'air. Elle repensaitencore à lui... Penser à lui, alors que ça faisait déjà unmoment qu'elle ne devrait plus le faire, c'était comme si elle selavait avec un gant en fil de fer barbelé, histoire que ça fassebien partir la crasse, même celle-ci qui s'était insinuée sous lapeau, carrément. Et elle aurait voulu le faire, ce nettoyage, à soncerveau. Mais non, il ne fallait pas oublier mais pas non plus tomberdans la haine. Elle voulait se laisser le temps de se défaire sanspasser sur un mode violent et cette méthode la bouffait del'intérieur. Sa cigarette, indus' pour une fois, qu'elle avaitsûrement volée à sa mère, commençait à être consumée demoitié. Il faisait une chaleur moite, entre le coup de chaud et lemordant, une température insupportable. Comme chaque année. Etcomme chaque année, elle était dans cette ville au moment de lacanicule, ses parents avaient le chic pour partir après, moment ouil aurait été intelligent de s'en aller. Elle gardait la boucheentre-ouverte, son rouge à lèvres collait au mégot, elle« signait » ses cigarettes comme disait Gatsby. Gatsby...Il ne la contactait plus. Elle tira sur sa clope qui émit un petitsifflement, elle l'aimait bien, ce petit bruit, ça la réveilla.Elle se sentait dans un état second. Il était quelle heure ? Apeine dix heures à sa montre. Dix heures... et bien d'autres quiallaient suivre. Elle se sentait barbouillée, c'était sa premièreclope de la journée. Elle se frotta le nez en plissant les yeux.

Lachambre était assez spacieuse, en longueur. Le lit deux placesétait dans un coin, dans la largeur, un drap bleu et des couverturesjaune, orange délavé, la fenêtre au dessus du lit, les murs blancscassés, à demi colorés de jaune à cause de toutes les cigarettesqu'elle avait pu fumer en cachette. Sur le côté du lit, petitetable de chevet avec un tiroir, lampe posée dessus, pile de livresqui s'écroulait à côté. Le parquet propre était recouvertsd'habits enlevés à la va-vite quand elle rentrait tard le soir etse mettait nue pour dormir dans la chaleur lourde. Un bureau del'autre côté, dans le coin, en imitation bois laqué, très sombre,mais rutilant à la lumière. Le rideau de la fenêtre cachait cetl'effet. Un petit vent s'installait dans la pièce, elle soupirad'aise. Ses yeux étaient collants du mascara qu'elle n'avait pasenlevé la veille. Ses lèvres et sa salive pâteuse puaient lacigarette. Ses cheveux noirs, emmêlés encore, couraient jusqu'àses omoplates et se collaient contre le mur. Elle avait étiré sesjambes devant elle. Elle prit sa cigarette dans sa main gauche et selaissa tomber tête contre le matelas. La fumée l'empoisonnaitmoins. On l'appela. Elle se releva brusquement, écrasa en vitesse sacigarette dans le cendrier caché sur le rebord de la fenêtre ettira encore plus le rideau.

Ontoqua à sa porte. « Gaëlle, tu es réveillée ? »La porte s'ouvrit, sa mère toquait mais n'attendait pas de réponsepour ouvrir. « Oui, maman. » Répondit-elle en faisant unpâle sourire. Quand sa mère glissa la tête derrière la porte,l'image qu'elle eut de sa fille ne la rassura pas. Sa fille étaitrelevée, on sentait qu'elle tenait en équilibre précaire sur sesbras, moitiés tremblants, les cheveux en bataille, la bouche avec unrouge à lèvres encore parfait de la veille, ses yeux cernéssoulignés par le mascara qui avait coulé tandis qu'elle dormait,son débardeur marron-orange qui commençait à devenir trop grandpour elle, ses jambes fines et sculptées dans un pantacourt trèsserré. À cette vision,la mère se rendit compte que sa fille se laissait encore crever defaim, ce qui lui brisa le cœur. « Gaëlle, viens manger s'ilte plaît. » Le ton était doux, mais sans appel. Séraphine,car c'est ainsi que s'appelait sa mère, ferma doucement la porte,descendit les escaliers et alla dans la cuisine où elle l'attendit.Elle s'assit sur une chaise autour de l'imposante table de bois rectangulaire. Ses trois enfants avaient mangé leur premiers repas àcette table, ils avaient tous les trois fait le coup de foutre duyaourt partout. Elle sourit à ces souvenirs. Nathanaëlle, la grandesœur était déjà partie depuis deux ans de la maison, faire desétudes dans le nord, avec l'homme qu'elle considérait commedésormais l'amour de sa vie. Elle avait peu de nouvelles, mais pasde nouvelles, bonnes nouvelles, non ? Sa fille ne descendaittoujours pas. Elle savait qu'elle s'apprêtait toujours pour voir lesgens qu'elle aimait, surtout quand elle avait conscience d'avoirencore merdé sur son poids et que ses joues étaient trop creusées.Séraphine comptait bien attendre Gaëlle et lui faire manger un bonpetit-déjeuner.

Gaëlle - L'indispensable Mélancolie De L'êtreWhere stories live. Discover now