CHAPITRE 4

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ROWENA

La pluie giflait le visage de Rowena tandis qu'elle courait, indifférente au paysage qu'elle avalait de ses pas et à la boue qui, insidieuse, s'amusait à picorer sa robe et ses souliers de minuscules éclats bruns. Sans s'arrêter, et à vrai dire sans même s'en rendre compte, elle dépassa le mur d'enceinte du château et s'engouffra dans le maigre bois qui séparait le château des Serdaigle de la propriété estivale des Ollivander. Quelques ronces cherchèrent à la retenir par l'étoffe de sa robe mais, pas plus alertée par elles que par la boue et la pluie, Rowena poursuivit sa route et émergea bien vite entre deux jeunes chênes dont les branches et les feuilles paraissaient n'avoir d'autre désir que de l'enlacer pour ne plus jamais la lâcher.

L'averse obligeant, elle ne put percevoir du manoir que de vagues contours sombres peinant à se détacher du ciel et quelques trous de lumière perçant çà et là sa façade. Quand leur faisceau tremblotant donna aux gouttes qui glissaient sur ses joues l'aspect d'or fondu, Rowena se sentit comme mise à nu et n'eut plus qu'une envie : reprendre sa cavalcade et ne s'arrêter que lorsque plus personne ne pourrait voir l'état lamentable dans lequel elle se trouvait. Mais ses pieds n'avaient pas la force de continuer et, rentrer chez elle, elle n'y songeait pas même une seule seconde. Résolue, elle se munit donc de sa baguette, remit de l'ordre dans sa tenue et ses cheveux, puis se fit annoncer par Marwin, l'unique domestique au service des Ollivander.

Lorsqu'elle pénétra dans le salon, outrageusement petit en comparaison de la démesure qui gouvernait chaque pièce du château des Serdaigle, la maîtresse de maison examinait avec soin des échantillons de bois sous l'œil avide d'un marchand. Le pâle sourire de bienséance qu'avaient revêtu ses lèvres recouvra une once de sincérité à la vue des mains blanches caressant le bois comme elles auraient caressé de la chair, tâtant de la pulpe des doigts sa souplesse et sa qualité, évaluant d'un roulement dans la paume s'il avait l'étoffe d'une future baguette.

Regarder les Ollivander fabriquer leurs baguettes avait toujours été l'une des activités favorites de Rowena. Contrairement à Nick qui n'avait de cesse de la tirer par la manche quand, plus jeune, elle papillonnait des yeux pour qu'il accepte d'aller regarder son père transformer de vulgaires bouts de bois en instruments de puissance, elle ne parvenait pas à se lasser de ce spectacle artisanal.

— Lady Rowena ! s'exclama chaleureusement Mary Ollivander quand son domestique lui eut fait part de sa présence. Si je m'attendais à votre visite ! Entrez donc, ne restez pas ainsi à la porte !

Dégainant les formalités d'usage, Rowena s'exécuta tandis que la maîtresse de maison se tournait vers le marchand de bois.

— Vous pouvez remballer, très cher, je crains que votre marchandise soit déjà ce que nous possédons par trop dans nos réserves personnelles.

Si cette réponse le contraria, le commerçant n'en laissa rien paraître et, sans même un pli agacé entre les deux yeux, fit disparaître les échantillons d'un sort avant de s'incliner et de prendre le chemin de la sortie ; seul, car tout le monde ne pouvait pas se targuer de mériter les égards dont bénéficiait Rowena.

— Quel courage que de traverser le bois par ce temps ! Marwin, avez-vous pris en charge la monture de Lady Rowena ? Je m'en voudrais que la pauvre bête soit forcée de rester dehors par ce temps.

À la mention de Nya, sur le dos de qui Rowena se serait d'ordinaire rendue chez les Ollivander mais qui, pour l'heure, écoutait tomber la pluie bien au chaud dans les écuries du château, la jeune femme sentit ses joues rougir, manquant de trahir l'assentiment mensonger mais bien intentionné de Marwin. Lorsque Mrs Ollivander le congédia, il s'autorisa d'ailleurs un clin d'œil à l'intention de Rowena, qui lui rappela avec douleur à quel point les choses avaient changé depuis les bêtises d'enfants dont il avait régulièrement été le complice afin de les protéger, elle et Nick, de vives remontrances.

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