Samhain

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La nuit tombait. En temps normal, cela m'aurait paru anodin. Mais ce jour-là était la fête des morts. La fête des morts ainsi que la pleine lune. J'avais fait le plein de gros sel, d'ail, d'herbes, de décoctions en tout genre. Sans oublier, les dagues en argent, les croix ainsi que l'eau bénite. J'avais, de plus, sorti mon vieux grimoire tout poussiéreux de sorts de protection. On me reprochait sans cesse d'être trop superstitieux. C'était faux. Je ne crois pas à la chance. Seules la magie et les sciences régnaient dans ce monde. J''allumai une lampe à huile. Il fallait faire vite avant que le jour ne décline pour laisser place à l'obscurité et, avec elle, des milliers de créatures. Je vous assure : les créatures que l'on nomme « imaginaire » ne le sont pas tant que ça...

Je pris avec moi un sac bien rempli d'un mélange de gros sel et de plantes pour repousser les esprits et sorti de ma pièce de travail pour emprunter les escaliers. Je m'arrêtai à l'étage supérieur et ouvris la porte de ma chambre. Je vidai ainsi violemment sur le sol tout mon sac de sel puis étalai du mieux que je pouvais. De cette façon, personne ne pourrait rentrer dans la pièce du bas par le haut. Je redescendis dans mon bureau et jetais un coup d'œil pour la fenêtre, à laquelle étaient suspendues des gousses d'ail. Le soleil avait presque disparut. Vite, plus vite ! Le temps pressait. Une vague d'adrénaline m'envahissait et me donnait des ailes. J'accrochai d'autres gousses d'ail au-dessus du chambranle de ma porte, à l'extérieur de la pièce. Je fermai la porte blindée et verrouillai. J'analysai d'un rapide coup d'œil le bureau. Des cierges de cire de plusieurs couleurs étaient dressés sur le motif brodé de la nappe de mon autel. Un cierge à la pointe de chacune des cinq branches de l'étoile. Au centre de celle-ci trônait un bol en étain remplit d'eau bénite. Sur le parquet tout le long de la pièce, reposait une longue et épaisse traînée de gros sel. Elément clef de protection contre les créatures magiques. Sur le canapé à ma droite se trouvaient des couvertures pour passer le reste de la nuit si je n'arrivais pas à observer quoi que ce soit. Devant la fenêtre en face de la porte désormais close, une lunette astronomique se dressait fièrement, semblant attendre de rendre service à son propriétaire. Sur une petite table juste à côté de l'objet étaient posés une paire de jumelles, un opuscule pour retranscrire mes observations et un encrier et sa plume. Le soleil avait totalement disparu et un hurlement canin à glacer le sang retenti. Je senti la peur, délicieuse émotion, monter doucement en moi. Je pris le temps de savourer les frissons qui parcouraient mes bras et me frottais les mains. Je me dirigeai vers mon autel à sortilège et plongeai un coquillage dans l'eau bénite. Tout en gardant une main fermement en contact avec l'objet, je tendis l'autre main vers le ciel en psalmodiant une formule. Les nuages commencèrent à se former autour de la petite chaumière sur le sommet d'une colline, où j'avais avais élu domicile des décennies plus tôt. Un perchoir admirable d'où je pouvais admirer les créatures légendaires. Mes amis wiccans très peu nombreux et moi possédions ce don tout particulier de voir ces animaux et autres humanoïdes. Un don très rare, à l'origine de notre passion. Soudain, un éclair s'abattit sur le toit et traversa une fine tige en cuivre pour m'alimenter en magie. Mes yeux se révulsèrent, puis tout redevint normal. Enfin presque. Je retirais ma main du récipient, le point toujours fermé sur le coquillage devenu pour moi... un trésor. Une réserve de magie s'il m'arrivait, par malheur, quelque chose. Je marmonnai encore quelques mots afin de sceller mon sort, puis me dirigeai vers la fenêtre. En contrebas de la petite colline, à l'orée de la forêt voisine, entre les nuages, les monstres étaient partout. Fascinant ! J'aurais pu rester des heures à les observer. Mais il fallait désormais passer à l'action. Une nouvelle fois, je me rendais compte de l'utilité des études en génétique. Mon projet. Mon Frankenstein. Mon enfant. Plus réel, plus beau, plus fini que n'importe quel être vivant. Un parfait robot organique, créé par la Nature et contrôlé par la magie.

Le fil d'une plumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant