PARTIE 4 - LA LOI DU PLUS FORT

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Au loin, des bougies s'allumèrent. Elles éclairèrent faiblement l'espace lugubre dans lequel les patients étaient prisonniers. Des centaures et des elfes se mirent au travail. Ils traversaient l'étendue de draps blancs, chacun un chariot sur lequel reposait une grosse marmite devant eux. Les malades et les mourants se réveillaient dans une cacophonie de plaintes et de gémissements. Quelques formes se redressaient dans leurs lits, tendant leur bras désespéré vers les mains nourricières.

L'odeur du pain chaud fit frémir l'elfe d'envie. Depuis quand n'avait-il pas mangé ? Il l'ignorait. Sans doute l'heure de son dernier repas se comptait-elle en jours désormais. Le chariot se rapprochait lentement de leur position. La barbare poussa un long soupir à ses côtés. Un centaure à l'oeil vif et au poil noir brillant s'arrêta devant eux. Il jeta un plateau avec nonchalance sur les genoux de l'elfe puis y posa une assiette couverte d'une bouillie verdâtre avant de passer à un autre patient, sans lui laisser le temps de répliquer. Même pas un bout de pain.

L'estomac fragile de Lazare se tordit de mécontentement dès qu'il mit l'infecte nourriture à la bouche. Il ne savait pas si cela venait de la douleur dûe à ses récentes aventures ou à un empoisonnement volontaire de l'équipe soignante du lieu. La pâtée, en plus d'être froide, avait autant mauvais goût que ce que sa présentation laissait à penser. Il en était sûr : il s'agissait de bouse de troll, mélangée à du jus de carotte pour masquer au maximum le goût.

Il se tourna vers la barbare avec désespoir. Elle mangeait de bon coeur, sans se soucier une seule seconde de ce qu'elle ingurgitait. Certes, les humains possédaient un sens gustatif inférieur à celui des elfes. Mais à ce point ?! Cela frôlait l'impensable. Lazare joua quelques instants avec la purée, du bout de la cuillère, avant de repousser l'assiette, écoeuré.

"Les elfes et leur fine bouche, soupira la barbare, taquine.

— Les humains et leur capacité à avaler n'importe quoi, répliqua t-il sur le même ton."

Une cuillerée de purée verdâtre s'écrasa sur son visage, accompagnée d'une jacasserie moqueuse. Il attrapa une serviette pour en retirer le maximum et lui lança un regard réprobateur, qui accentua l'éclat de rire de la jeune femme. Il plissa les yeux, plongea la cuillère dans sa propre purée et répliqua, touchant le drap blanc de sa voisine. Elle rit de plus belle, attirant le regard d'un infirmier non-loin.

Il s'agissait d'un elfe aux cheveux blonds. Le peuple de Lazare avait la particularité de changer de couleurs de cheveux en prenant de l'âge. Celui-ci était donc très âgé, dans les six cents cycles. L'infirmier, comme un bon parent, passa une serviette sur le visage de Lazare puis sur le drap. Même si son visage affichait une certaine sérénité, ses yeux étaient animés d'une agressivité qui ne trompait pas. Il pointa la bouillie à peine entamée d'un doigt accusateur.

"Me puyssovysi itv sesi iv wuyt îvit geocmi. Nephib."

("La nourriture est rare et vous êtes faible. Mangez.")

Il attrapa sa cuillère, la remplit et lui planta dans la bouche avec une telle violence que Lazare eut un mouvement de recul. L'immonde mélange lui donna un haut-le-coeur et il chercha immédiatement à le recracher. L'elfe lui souleva brutalement la tête, le forçant à avaler. La nourriture lui brûla la gorge et il fut pris d'une violente quinte de toux qui raviva la douleur de sa jambe et le fit se plier en deux. Tant bien que mal, il se tourna sur le côté et vomit tout ce qu'il avait avalé aux pieds de l'infirmier qui fit un bond en arrière, profondément dégoûté et vexé.

"Vous lui faites mal ! cria la barbare, dans une vaine tentative de l'aider, alors qu'il crachait toujours, le visage rouge. Laissez-le respirer !

— Nífidop ! Cituop f'yp hewehi odo ! Opseyeib-mi."

Lazare | Histoire courte TyrnformenWhere stories live. Discover now