1. Sybille

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1. Sybille

- Tu es si belle, Sybille. Tu as de jolis yeux.

Je penche la tête sur le côté, les sourcils froncés. C'est vrai qu'ils ne sont pas totalement laids. Ils changent même de couleur suivant la météo. Mes iris naviguent entre l'émeraude, le bleu et le gris en fonction de la coloration du ciel. C'est plutôt joli et insolite. Lorsqu'on sait que les yeux sont le reflet de l'âme, on pourrait croire que je suis quelqu'un d'intéressant et d'original. En réalité, si la banalité portait un visage, ce serait le mien. Rien ne me démarque des autres. Je suis la fadeur incarnée.

Comme du beurre doux.

Pour être tout à fait honnête, je ne cherche pas à me faire remarquer. Ce serait même plutôt le contraire. Je préfère me faire discrète pour ne pas m'attirer les foudres des populaires du lycée. On sait très bien comment ça se termine lorsqu'on devient trop confiant. On attire les regards. Désapprobateurs la plupart du temps. Parce qu'une fille comme moi, avec un physique banal, un look banal, un emploi du temps banal, ne peut pas faire partie des jolis cœurs du bahut.

On ne voit ça que dans les films. Et encore...

- En fait tu as une tête de cul, comme tous les jours.

En prononçant ces quelques mots, je me retourne brusquement pour sortir de ma chambre. Comme toujours, je porte un jean quelconque avec un tee-shirt quelconque et une paire de baskets quelconque. J'appelle ça ma tenue de camouflage. Il n'y a pas meilleur attirail pour passer inaperçu. Je salue ma mère d'un geste de la main et comme d'habitude, elle me tend une banane avant que je quitte la maison.

Comme elle est ringarde, elle dit que c'est pour que j'ai la banane toute la journée.

En fait, c'est surtout pour déculpabiliser de me voir partir le ventre vide chaque matin.

Je grimpe dans le bus qui vient tout juste de s'arrêter devant chez moi. Le chauffeur grommelle un « bonjour » peu sympathique, comme toujours. Il se demande sans doute ce que Samuel et sa bande vont encore trouver pour le faire tourner en bourrique.

Il me fait vraiment pitié, le pauvre gars.

Heureusement pour lui que la retraite est proche, sinon il finirait par se rouler dessus avec son car. Il faut dire que les débiles de Terminale ne sont pas une espèce en voie de disparition, malheureusement. Ils signent et persistent, totalement inconscients de leur bêtise. Ils se mettent dans le fond du bus, rient grassement aux blagues de leurs leaders et ne se rendent pas compte que mille autres adolescents ont fait ça avant eux.

Si je suis banale, ils sont aussi communs que la lettre E dans un roman.

Je m'installe à la première place libre, du côté de la fenêtre. Mon front se colle immédiatement contre la vitre, alors que mon ventre criant famine m'incite à dévorer la banane que m'a filée ma mère. Au prochain arrêt, Sofia se pose bruyamment à mes côtés, parlant déjà à cent à l'heure et me perdant dès son premier mot. Je ne sais pas comment elle fait pour être aussi alerte dès le matin. Moi, je suis comme la nana dans la pub pour la Ricoré. Il ne faut pas me parler avant que j'aie bu mon café.

Et comme je n'en bois jamais, c'est d'autant plus compliqué.

- Tu sais, j'ai essayé le truc du prof de philo sur l'auto-persuasion ce matin. Je me suis matée dans le miroir et tout... Mais je n'ai rien trouvé de positif chez moi. Je suis grosse. Je suis blanche comme un cul. Et en plus je suis rousse. Il manquerait plus que je devienne une femme à barbe pour compléter le tableau.

Si belle, Sybille (sous contrat d'édition ❤️) Where stories live. Discover now