Chapitre 2: Thomas

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Chaque minute s'écoulait toujours plus longue et étouffante. Dans les couloirs jaune pisse, le personnel de l'hôpital s'activait inlassablement comme une danse éternelle. Aucun d'eux ne prenait le temps, mais en avaient-ils seulement, de nous adresser ne serait-ce qu'un regard pour nous dire, à mon père et à moi, qu'ils savaient que nous étions là à attendre. Une vague d'une dizaine de médecins se précipita vers un groupe de pompiers tirant un brancard d'une manière presque désespérée. Le long d'une main coulait du sang d'une couleur étrange, par moment de petits spasmes nerveux resserraient cette dernière.

Mon père tira le bras d'un de ces hommes vêtus de blouses blanches. Celui-ci abandonna le groupe et se fixa face à nous, son regard sévère semblait nous dire de nous dépêcher d'exposer nos ennuis. Cet homme ne m'inspirait aucune confiance, j'avais la sensation qu'il nous considérait comme un vulgaire gagne-pain et non comme des hommes fatigués et inquiets (du moins, j'étais censé l'être aussi).

«Monsieur, excusez-moi, mais ma femme madame....
- Elle va mieux son état est stable. Si vous désirez la voir, allez-y, mais ne la brusquez pas. Les anesthésiants font encore effet.»

L'homme partit d'une marche vive et saccadée, puis ce fut au tour de mon père de m'abandonner dans ce couloir. Une petite voix me disait de me rendre dans la chambre de ma mère, juste pour la voir.... Mais je n'en avais aucune envie. À quoi bon? Je serais le coupable de tous ses malheurs! Moi le fils surdoué qui s'intéresse à la science et aux technologies et qui reste en ermite avec ses connaissances! C'est sûr qu'à côté, ma magnifique sœur blonde platine ultra populaire qui se fait sauter par tout ce qui bouge était merveilleuse! Bien entendu eux, ils ne voyaient pas les choses comme ça... Pour eux, elle avait du charme, de la classe et une importante popularité qui pour le métier de mon père pouvait avoir une importance; et qui rendait ma mère heureuse d'avoir pu réussir au moins sa petite fille et de l'avoir rendu parfaite. Autrement dit, du moment que je ne faisais pas chier, ils étaient contents. Je n'avais aucune envie de rester là à attendre mon père comme un imbécile assis sur ces sièges en bois jaune. Lentement, je me levais et pris la direction des portes de secours pour prendre l'air. Il n'y avait plus aucun son dans les couloirs redevenus calmes, presque trop même...

J'étais à quelques mètres des portes lorsque un grognement démoniaque résonna dans les couloirs. Puis des cris, des cris de terreur étranglés par une bourrasque de bruits, des pas et des voix criant presque à l'unisson " la victime, la victime !". C'était un énorme bazar de récrimination et de corps qui se poussaient pour atteindre la sortie, certains tombaient et se faisaient écraser par le troupeau de peureux. Du sang salissait le lino blanc et des bruits d'os brisés accompagnaient cette macabre cacophonie. Je ne voyais plus des hommes, mais des animaux écoutant leur instinct pour survivre à je ne sais trop quelle bête féroce et enragée. Puis il y eut de nouveaux grognements, plus nombreux, plus morbides. C'était une sorte de râle de douleur mélangé à un cri de rage. Du verre était brisé, des meubles renversés, on aurait dit que ces choses se battaient contre tout ce qui les empêchait de passer. De nouveau, le silence s'installa, pesant, menaçant. Une atmosphère de traque enrobait les couloirs, je me sentais en danger comme une proie doit l'être face à un tyrannosaure affamé. Mon cœur s'emballait et imaginait toutes sortes de monstres machiavéliques qui pouvaient exister. Malheureusement, mon esprit s'était préparé à tout sauf au spectacle qui allait se dérouler sous mes yeux impuissants...

Des êtres déchiquetés marchaient, pour certains laissant leurs organes pendre comme un boulet. Un de ses monstres avait les côtes complètement apparentes, plus un seul morceau de chair ne cachait ses os. D'autres encore avaient les membres brisés, mais pourtant, ils marchaient presque normalement sans que la douleur ne semble les déranger, certains étaient très vifs et reniflaient l'air tournant frénétiquement la tête de droite à gauche, d'autres était mous, les bras pendant presque aussi bas que leurs boyaux. Mais aucun n'avait encore l'apparence d'un vrai humain. C'étaient des cadavres ambulants...

Mon muscle cardiaque battait à tout rompre, je reculais cherchant des mains cette foutue sortie, aucun des monstres ne m'avait aperçu. Violemment, la chambre de ma mère s'ouvrit et mon père apparut en hurlant. Les monstres en un seul homme (ou cadavre) se retournèrent vers nous. Une lueur terrifiante brillait dans leurs yeux... Une lueur affamée, comme si nous étions désormais leur proie! Ils s'engouffrèrent dans le couloir, se bousculant, s'écrasant sur les murs quitte à y laisser quelques morceaux de cervelle. Lentement, mon père réalisa et vit la horde de mort se jeter vers nous, il blêmit et resta là devant la porte comme un pique sans réussir à bouger. Les battements de mon cœur, affolés et désordonnés, soulevaient mon torse et dégageaient dans mes veines une montée d'adrénaline si puissante que les secondes qui suivirent semblaient se passer au ralenti...

Chaque pas de ces monstres résonnait dans mes tympans, leur souffle de bête enragée, leur grognement chantait une musique infernale, celle de l'animal pourchassé par les prédateurs. Puis il y eu un cri, un cri déchirant et rempli de douleur qui recouvrait le son des morceaux de chair que l'on arrachait. Chaque nerf qui cédait rebondissait comme un ressort avant d'être englouti. Ce spectacle abominable me pétrifiait de terreur, mais alors que mon père mourrait sous mes yeux, un nouveau cri retentit, c'était celui d'une femme, "ma mère" pensais-je.
Je repris conscience de ma situation, les monstres étaient à quelques mètres de moi, et moi à quelques mètres de la sortie... Désespéré, je courus comme un fou criant à m'en vider les poumons, criant à m'en brûler la gorge. Je ne sais pas par quel miracle, mais je réussis à m'enfuir de cet endroit. Dans les rues, le chaos régnait en maître, les cris, les grognements, c'était la musique de la fin de notre ère! Des explosions soulevaient le sol, détruisant tout! Moi, je courrais comme un fou dans ces rues apocalyptiques. J'entendais tout, mais ne voyais rien tant la terreur m'aveuglait... Puis mon pied tomba dans un gouffre et mon corps le suivit... Un choc, une douleur fulgurante à la tête... Puis plus rien.... Le vide... Du noir....  

CHAOS: Le BrasierWhere stories live. Discover now