Partie une

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Sasha vivait ici depuis des années. Depuis toujours en réalité, il n'avait jamais rien vu d'autre que sa petite ville. Il n'avait jamais connu d'autres personnes que celles qu'il côtoyait tous les jours. Il n'avait jamais rencontré des gens qui venaient d'ailleurs. Il n'avait jamais rien fait de fou depuis qu'il était enfant. Tout simplement parce que sa mère ne l'aurait pas accepté. Elle n'aurait rien dit, mais elle aurait été blessée.

Sa mère, elle, aimait le rangement, le jardinage et tout un tas de trucs qui ennuyaient Sasha. La boutique de sa mère en faisait partie. Mais Sasha n'avait pas le choix, il devait l'aider. Elle avait besoin de lui. Ça avait toujours été comme ça, depuis que son père avait foutu le camp. Alors il ne disait rien, il gardait pour lui et il donnait des coups de main à sa mère. Que ce soit à la maison ou à la boutique.

Il écoutait les silences entre eux.

Il n'avait pas de frère, ni de sœur. Il avait des amis, ça oui, il avait un paquet de potes. Ils se connaissaient depuis la maternelle, mais Sasha n'avait jamais vraiment réussi à faire partie de cette bande atypique. Il avait toujours ressenti le besoin de s'isoler, de s'écarter de tout ça, d'être seul. Sauf avec Emi.

Il était comme ça, Sasha, un solitaire avide de découvrir le monde.

Mais il ne pouvait pas, car s'il partait, sa mère se retrouverait toute seule. Et il ne pouvait se le permettre, parce que sa mère avait toujours été là pour lui. Elle avait toujours fait tout ce qui était en son pouvoir pour offrir à son fils une vie convenable. Elle n'avait pas toujours été très aimante car elle ne savait pas y faire. Mais Sasha ne lui en voulait pas, même si parfois il sentait son cœur devenir si lourd qu'il n'arrivait pas à comprendre. Il avait envie de la secouer et de lui hurler dans les oreilles « MAIS TU NE VOIS PAS QUE JE SUIS LÀ ? ». Mais il ne disait rien, il savait que cela ne servirait à rien. Et que tout ce qu'il récolterait, ce serait de passer pour un ingrat. Un mauvais fils qui demandait de l'attention alors qu'il ne manquait de rien.

Parce que c'est ce qu'on dit, n'est-ce pas ? On dit qu'on ne manque de rien lorsqu'on a un toit sur la tête, de l'argent dans le compte en banque et de la nourriture dans son assiette.

Mais parfois, dans le fond de sa tête, Sasha savait. Il savait que ça, ça ne suffit pas toujours. Un sentiment de manque lui chatouillait le corps, lui piquait le cœur et grattouillait les nerfs. Les questions arrivaient dans sa tête et il se mettait à douter. Il se demandait si sa mère l'aimait sincèrement, si c'était parce qu'elle avait reçu une éducation stricte qu'elle ne débordait pas d'amour pour lui. Ou si c'était simplement des films dans sa tête. Des scénarios qu'il s'imaginait, des rêves qui le hantaient constamment.

Sasha rêvait de partir.

De découvrir des paysages magnifiques, comme ceux qu'il dessinait. D'apprendre de nouvelles langues, même si c'était surtout les insultes qu'il arrivait à retenir. D'observer les gens et les cultures qui lui étaient inconnues. De dénicher des objets venant de pays dont il ne pensait jamais entendre parler. De lire un tas de bouquins avec des symboles étrangers, des récits jamais lus, des histoires provenant d'ailleurs. Et tant d'autres choses auxquelles il n'osait même pas songer parce qu'il savait que cela ne servirait à rien. Qu'il n'accèderait jamais à tout ça.

Un peu plus que çaWhere stories live. Discover now