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KARLIE

- Voilà... tu sais tout maintenant.

- Waouh...

Je suis sans mots.

Ce n'est pas un secret pour moi: quand il le veut, Jake peut être le roi des cons.

Mais là, il a atteint des limites que jamais je n'aurais pu imaginer.

- Et qu'est-ce qui s'est passé après ? demandé-je doucement.

- Eh bien, souffle mon amie, comme je t'ai dit, mes parents sont allés voir les tiens...Quand ils sont revenus, ils avaient le visage voilé par la colère. Je me suis demandé ce qu'ils avaient pu dire à Monsieur et Madame Evinson, mais en fin de compte, je n'ai pas voulu savoir. Je me suis dit que si une dispute avait eu lieu, c'était...ma faute. C'est stupide, hein ?

Sa voix se brise au dernier mot. Elle secoue la tête en levant les yeux.

- Je ne sais même pas pourquoi je pensais ça.

Je reste silencieuse, ne sachant que dire pour la réconforter.

Après quelques secondes, elle reprend la parole.

- Le lundi, quand je suis arrivée à l'école, la vidéo avait déjà été envoyée à tout le monde, sans exception. À l'aide de téléphones. Et de réseaux sociaux. Non mais tu te rends compte ? Ces gamins, qui n'étaient même pas encore des foetus, avaient déjà des téléphones et des réseaux sociaux !

Sa remarque me fait rire.

- Bref, soupire Moonlight. Le nombre de blagues et d'insultes sur mon obésité avait largement augmenté. Personne ne voulait me lâcher, surtout pas Jake et sa bande. Au dîner, quand je sortais un cheeseburger ou une pâtisserie de ma boîte à repas, l'un d'eux me l'arrachait des mains et balançait un truc du genre "c'est pas comme ça que tu vas perdre ta graisse pendante, Obésis ». Ça a été mon nouveau surnom. Et moi comme une idiote lâche et trouillarde, je restais là et je ne disais rien, me contentant d'aller m'enfermer aux toilettes pour pleurer, comme dans ces films...

Elle avale difficilement sa salive. Des larmes se forment alors au coin de ses yeux.

- ... la seule chose qui me permettait de tenir, c'était le fait qu'il ne restait plus que deux semaines avant les vacances....et le dessin, aussi. À la fin de l'année, j'ai supplié mes parents de déménager. Ils ont bien vu à quel point j'étais brisée, alors ils ont accepté. Ça a été rapide. Une semaine après, je suis partie pour m'installer là où je suis. Durant l'été, j'ai décidé de respecter les régimes que me donnaient mon médecin, de manger plus sainement et de faire de l'exercice - adapté à mon âge-. Au final, j'avais perdu environ vingt kilos. Ça m'avait motivée. Alors j'ai continué de m'entraîner, jusqu'à perdre tous mes kilos en trop. Encore aujourd'hui, je vais à la salle de sport et maintiens le rythme...

Si je m'attendais à ça...

- Moonlight, je...suis vraiment désolée. Jake ne m'avait rien dit du tout.

Elle hausse les épaules et lâche un rire amer.

- C'est tout lui, ça. Fuir ses problèmes. Il n'est même pas fichu de venir me voir et s'excuser.

- Ce n'est pas pour te contredire, mais si je me souviens bien, après l'avoir frappé, tu lui a crié de ne plus t'adresser la parole, alors...

- Tu sais très bien ce que je veux dire, me coupe-t-elle.

Elle passe la main dans ses cheveux, en fermant les yeux.

- Écoute. Je suis vraiment désolée d'avoir réagi comme ça en voyant Jake, mais...

Et voilà que je vais me mettre à pleurer, alors que les yeux de Moonlight n'échappent pas la moindre larme.

- Je suis désolée.

Elle me regarde enfin, et me serre dans ses bras. Je réponds à son étreinte

- Merci de m'avoir fait confiance.

Je comprends tout. Enfin.

Je ne pensais pas une seule seconde que Moonlight avait pu être aussi malheureuse dans sa vie. Elle, si souriante et dynamique habituellement...

En six années passées avec mon frère, comment se fait-il que je n'aie jamais entendu parler de cette histoire ?

J'ai du mal à me faire à l'idée que Jake ait fait... ça.

Encore plus de m'imaginer que Moon avait autrefois été obèse. C'est tout bonnement impossible. 

Après un long moment, nous nous séparons.

- Je dois avouer que je suis encore sous le choc, lui dis-je. Il me faut encore un peu de temps pour...digérer tout ça. Je crois que je vais te ramener chez toi et on se verra demain ?

- D'accord, murmure mon amie, le regard maintenant perdu dans le vide.


Arrivée à la maison, je monte directement dans la chambre de Jake. Je dois connaître sa version des faits. Je dois savoir ce qu'il l'a poussé à faire une telle chose. Dos à moi, il est assis sur sa chaise roulante et fait je-ne-sais-trop quoi.

- Tu sais, frangine, moi aussi je suis plutôt content de te voir, mais une porte, c'est pas là pour faire joli. C'est un élément essentiel à l'intimité alors quand on veut entrer, eh bien, on cogne, déclare-t-il sans se tourner.

- Comment tu as su que c'était moi ?

- On appelle ça l'instinct, Karlie.

Après quelques secondes, je me lance.

- Il faut qu'on parle, Jake.

- Et de quoi ?

- De Moonlight, dis-je d'un ton sérieux.

Toujours assis sur sa chaise, mon frère fait pivoter cette dernière, et me regarde. Il lève un sourcil.

- De Moonlight ?

- Oui, de Moonlight ! Elle m'a tout raconté, Jake ! Pourquoi lui avoir fait ça ?

Il s'appuie contre le dossier de sa chaise de bureau, et croise ses bras derrière la tête, l'air amusé. Ce que je déteste le plus chez lui. Son aptitude à jouer les indifférents face à certaines situations qu'il désire éviter.

- De un, il n'y a rien dire à propos de Moonlight. De deux, raconté quoi ? De trois, fait quoi ?

Et il se fiche de moi, en plus.

- Ne fais pas l'innocent ! Je suis au courant de la fête, la vidéo, tout !

Voyant mon visage rouge de colère, il esquisse un sourire.

- Dis-le moi tout de suite, sinon tu vas le regretter !

- Karlie, c'est bien beau de faire des menaces, mais il faut aussi avoir le physique pour. C'est pas évident d'être pris au sérieux quand on est haut comme deux pommes et qu'on a une voix digne de celle d'Eleanor dans le Chipettes !

Énervée, je sors de la chambre à grands pas et pénètre dans celle d'en face, qui est la mienne.

Je commence à croire que Moonlight ne l'a pas frappé assez fort.

L'ART DE T'AIMERWhere stories live. Discover now