« Au rythme d'une malédiction. »

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« Ne me mens pas ! Tu ne m'as jamais aimée ! »
Les mots avaient résonné, comme des coups de tonnerre.
« Il n'y a que lui ! Dans ton esprit, dans ton cœur, en toi ! Partout ! »
Il n'avait rien dit pour la contredire. La déesse avait raison, il le savait.
« Comment as-tu osé venir à moi pour n'être en réalité qu'à lui ?! Comment ?! »
Son ton était parti dans les aigus, tandis qu'elle balayait le bureau d'un mouvement brusque. Calypso était venue le chercher sur son navire. Pour mettre les choses à plat. Autant dire qu'elle devait garder cela depuis longtemps... Peut-être avait-elle raison, au fond. Même quand il la voyait elle, quand il l'enlaçait, l'embrassait, la prenait, ou jouait simplement avec ses longs cheveux noirs... Ses souvenirs et sa nostalgie lui renvoyaient des images d'autres, bleus comme la mer...
« ! Tu penses encore à cette catin, je le sais! »
Avait-elle aboyé, folle de rage. Réussissant à lui faire perdre son calme. Sa main était partie, vive comme l'éclair. Elle avait heurté la joue de la Déesse, arrachant un couinement de douleur à Calypso, comme lui s'approchait d'une démarche sombre, la surplombant sans mal, avant de la saisir par le col, et de la rapprocher. Très proche. Trop. Mais pas par envie de quoi que ce soit, outre de la frapper encore, jusqu'à lui faire ravaler ses mots.
« Ne te permets plus jamais de l'insulter, chienne... »
Sa voix s'était faite dure et impétueuse, comme la jeune femme lui faisant face avait écarquillé de grands yeux. Bientôt remplis de larmes. Et la suite de la dispute n'avait rien arrangé.
Et quand la Déesse était partie, laissant le célèbre Davy Jones célibataire, et désormais maudit, celui-ci n'avait pu que fixer son miroir, avec effroi. Lui qui avait pensé s'en tirer, avec une simple rupture, retentissante et douloureuse peut-être, au moins un peu... Venait de perdre tout ce qui faisait de lui un homme. Un homme bien fait et séduisant, comme son regard s'était éternisé, teinté d'effroi sur les tentacules disgracieux qui ornaient désormais son menton à la place de sa barbe.
« Je maudirai ta vie entière! Jamais il ne reviendra vers toi, sauf par pitié ! »
Avait-elle ricané, en effleurant presque amoureusement sa joue.
« Tu ne seras qu'un monstre à ses yeux. Une chose effrayante et dégoûtante... T'aimera-t-il encore, penses-tu ? »
Il se souvenait n'avoir pu répondre. Comme il se souvenait avoir mentalement prononcé une réponse négative. Qui pouvait aimer ce qu'il était devenu ? Personne. Clairement. Pas même l'être le plus aliéné du monde. Alors quelqu'un d'aussi sensé que la Faucheuse... Il ne préférait pas même espérer.
Son cœur, enfermé dans son coffre de bois, avait ployé sous la souffrance. Il avait eu l'impression de mourir, en voyant son reflet pour la première fois.
« Mon pauvre Jones... »
Calypso avait gloussé, le détaillant d'un regard mauvais.
« Ne t'en fais pas, tu auras l'éternité pour le voir être heureux... Sans toi ~ »
Elle lui avait pris tout ce qui pouvait le pousser à l'aimer. Tout ce qui lui permettait de se dresser aux côtés de son bras droit avec fierté. Sage était, dans sa vision des choses, la créature parfaite... Sa petite taille était contrée par son agilité et sa rapidité de mouvement. Depuis qu'ils naviguaient ensemble, et même avant, jamais il ne l'avait vu prendre un coup, outre que de manière volontaire, généralement à la place de quelqu'un d'autre... Et le tout était associé à de superbes cheveux d'un bleu indigo magistral, accompagné d'yeux changeants, suivant l'environnement, de bleu, de rouge, de vert ou de violet, bien que Davy Jones n'ait que rarement vu les iris de la Faucheuse virer à l'émeraude ou au rubis...
Et lui, qui n'était qu'un homme, dans la fleur de l'âge, n'avait rien de particulier comparé à ce faux enfant. Rien de superbe, ni de magnifique. Davy Jones n'était qu'un homme. Grand, certes. Bien bâti, cela ne pouvait pas se contester. Aux yeux semblables à la mer qu'il arpentait avec passion.
Cette fameuse étendue d'eau froide et saline, qui avait été en cause de leur toute première rencontre, au détour de l'une des plus grandes batailles que le Capitaine ait eu un jour à donner... Jamais, il n'avait connu d'homme de cette prestance... Et les dieux eux-même savaient, à quel point il avait pu en tomber amoureux. Oh bien sûr, pas au premier regard, comme dans les contes de fées que lui racontait sa mère, pendant ses années d'enfance. Mais plutôt à force de heurts, et de chamailleries. En moins d'un mois, l'être de légende était devenu son bras droit. Ses compétences en navigation annulaient la médiocrité des siennes, lui qui arrivait encore à confondre Nord et Sud, quand il ne réfléchissait pas longuement...
Davy Jones était revenu à la réalité, au dernier rire de son amante, avant de briser son miroir en un cri de rage. Cela ne faisait pas même dix ans, qu'il lui avait cédé son cœur. Pas même cinq, pas même une seule année... Cela ne faisait que quelques mois, qu'il la fréquentait, ayant cru l'aimer, plus que jamais, il n'avait pu aimer la Mort elle-même...
Et la vérité lui broyait solidement cœur et esprit. Son âme elle-même semblait en pleurer, tandis que le fier pirate s'était laissé glisser au sol, incapable de retenir ses larmes. Avait-il vraiment foutu toute sa vie en l'air, pour les beaux yeux d'une Déesse..? Cela semblait si réel... Si cruel.
Des jours étaient passés, avant qu'il n'ose seulement se montrer. Sa malédiction avait déjà fait le tour de la terre, comme un murmure au travers du vent et des océans. « Davy Jones, le pirate » avait tristement laissé sa place à « Davy Jones, le maudit » sans qu'il ne puisse même y faire quoi que ce soit.
Au début, devoir passer dix ans en mer lui avait semblé utopiste. Aimait-il la Mer? Au moins tout autant que ce qu'il aimait la Mort. Alors, allant dans ce sens... Mais jamais, l'être à l'apparence désormais enlaidie n'avait un jour pensé en venir à souhaiter la fuir. La fuir et ne jamais s'en approcher de nouveau. Elle que Calypso gardait au creux de ses mains...
Des jours avaient défilé, sans qu'il ne réagisse aux nombreux appels à la porte de sa cabine. Cabine qu'il avait ravagé, sous sa rage latente... Mais le battant de bois ne pouvait retenir que les êtres normaux.
Et celui qu'il redoutait désormais s'était glissé dans la cabine assombrie...
Et comme il fallait s'en douter, la Faucheuse ne l'avait pas reconnu. Le tout s'était déroulé en une poignée de secondes, à peine... Sage avait tiré son arme, et avait attaqué cet être qui lui était inconnu. Le Capitaine, figé n'avait pas réagi, et n'avait pu que siffler de douleur, à l'instant même où la lame parfaitement aiguisée avait frappé la main qu'il ne savait pas même tendre, avant de se poser sur sa gorge, en un menace claire et précise.
« T'es quoi ?! Qu'est-ce que tu fous dans la cabine du Capitaine ?! »
Les mots avaient résonné, comme des coups de tonnerre. Comme un début de tempête, comme une vague de mille mètres, qui chutait sur le cœur du maudit, venant le serrer et le broyer. Ses yeux, couleur océan, s'étaient désespérément accrochés à ceux de son ancien amant... Avant de se baisser sur la plaie à sa main, et de la fixer... Il était dévasté... La Déesse au nom désormais honni avait donc raison... Les larmes revinrent entacher sa vue, comme il baissait finalement les yeux.
Son esprit ployait sous la fatalité. Elle avait fait en sorte de lui prendre tout ce qu'il avait. Jusqu'à son identité, son titre... Et son bras droit. En qui il avait une confiance aveugle. Nul doute que ses hommes de main auraient le même genre de réaction. Qu'était un pirate, si son équipage lui-même ne pouvait le regarder en face..? Plus rien.
« C-Capitaine... ? »
La voix avait ravagé les lambeaux de son cœur. De l'incrédulité, du doute. Du choc. Un refus d'y croire. Sage, face à lui, avait rapidement retiré sa lame de sa gorge, à la reconnaissance de ses yeux, avant de reculer de quelques pas. Parce qu'il venait de l'attaquer, ou par dégoût de sa personne?
« ... Va-t'en. » Davy Jones avait murmuré. Regard posé sur le sol. Intérieurement anéanti. « Sors d'ici... »
Avait-il rajouté, d'une voix tremblante. Laissant sous-entendre les sanglots silencieux.
Et la Faucheuse avait ignoré son ordre. Se rapprochant, au contraire, après avoir lâché son arme, horrifié. Il s'était agenouillé devant lui, attrapant sa main blessée entre les siennes, les couvrant de son sang, en balbutiant des excuses vaines. Mais la seule chose qu'avait vu l'être à tête de pieuvre n'était autre que les tremblements du corps gracile prostré devant le sien. Qu'était-ce? De la peur? Du dégoût? De l'appréhension..? Le Capitaine du Hollandais Volant n'avait jamais été connu pour sa capacité à réfléchir. Puisque, quand il le faisait, cela l'embrouillait plus qu'autre chose... Et ce fut exactement le cas, à cet instant.
En réflexe de reste de fierté, il avait repoussé son bras droit, retirant sa main d'entre les siennes, en le fusillant d'un regard teinté de regrets, de peine, et de noirceur.
« Je t'ai dit de sortir d'ici! »
Il avait aboyé, faisant sursauter l'être de légende devant lui... Et celui-ci avait fini par obéir, filant, sans demander son reste, les mains couvertes de son sang. Le laissant seul, avec les débris de son cœur déchiré. Des jours étaient passés, encore, avant que le maudit ne se voile la face. S'enfermant dans un état de neutralité féroce. Bien qu'affaibli par le manque de nourriture, il s'était finalement levé de son lit. S'était approché de son armoire et en avait sorti l'une de ses tenues habituelles, pour s'en vêtir, après s'être dénudé. Est-ce qu'il avait soigné sa blessure? Non. Celle-ci avait même empiré, sous les larmes trop salées qui étaient tombées dessus, le faisant souffrir le martyre.
Lentement, il avait repris ses armes, pour les ranger soigneusement à leur place, autour de ses hanches. Le sabre à droite, le revolver à gauche... Les dagues à l'arrière, au cas où. Une garantie en plus. Il avait inspiré longuement, de sorte à faire revenir à lui son courage. Un minimum au moins, tandis qu'il s'accroupissait, afin d'attraper l'arme qui lui avait déchiré la main et le cœur.
Le grincement de sa porte avait été annonciateur. Ce qu'il ne savait pas, à ne pas être remonté plus haut, était le fait que Calypso lui ait accordé le fait de ne pas être seul dans sa malédiction. Elle avait maudit l'équipage entier... Et le bateau en lui-même, sinon ce n'était pas drôle. Chose qui lui avait sauté aux yeux, l'instant même ou il foulait le pont. Sans un regard pour le seul épargné, celui qui l'avait blessé.
Il ne l'observerait qu'à la dérobée, plus tard, en étant à la barre. Comme à son habitude, peut-être...
Les hommes s'étaient tendus en le voyant traverser le pont. Aucun n'avait semblé réagir. Sage, la Faucheuse, l'homme qu'il avait perdu par la faute d'une satanée Déesse courroucée, les avait-il prévenus..?
« Capitaine... ? » La voix avait été douce. Hésitante aussi. Tremblante surtout. Teintée de peur, malheureusement, comme le concerné de ses pensées s'était avancé vers lui, d'une démarche légère, pour l'observer, avant de baisser les yeux. « Comment allez-vous... ? »
Le craignait-il, désormais ? Seule question qui tournoyait fugacement dans l'esprit de Davy Jones, tandis que son regard se posait sur l'être aux cheveux bleutés, le détaillant longuement, amoureusement... Avec cet éclat de secret brisé et mort avant même d'être né.
« Comme un être maudit. »
Il avait sifflé en retour, ne pouvant défaire l'amertume de sa voix. Sa fierté, blessée, n'avait d'égale que la souffrance de son cœur... Tandis qu'il tendait son sabre à la Faucheuse, la fixant d'un regard réprobateur, sans rien dire.
« Ceci est à toi. Récupère-le. »
Obéissant docilement à l'ordre donné, le Commandant du Hollandais Volant avait récupéré son arme, avant de la ranger... Puis d'attraper la main toujours blessée, pour en caresser lentement la paume d'un doigt tremblant. « ... Je ne voulais pas, pardon ... »
Seconde de silence. Infime rire. Glacial, moqueur, dénué de douceur, comme le maudit retirait sa main avec flegme, s'éloignant de quelques pas.
« Reprends-toi, Sage. Je t'ai connu plus vaillant. Je n'accepterai aucun relâchement dans mes rangs. »
Il s'était ensuite écarté, reprenant son poste, tout comme la Faucheuse, une fois la surprise du rejet passé, avait repris le sien. Et la suite s'était ternie. Peu à peu. Les regrets s'étaient faits amers, en le cœur de Davy Jones. Sa rancune était devenue une routine. Il s'était refermé sur lui-même. Abandonnant ses sentiments dans un coin, pensant pouvoir les anéantir, puisqu'ils n'avaient plus de sens désormais. Comment pouvaient-ils en avoir, avec l'apparence qu'il possédait... ?
Les jours et les nuits avaient formé des semaines, qui avaient créées des mois. Puis des années. Le temps s'était écoulé. Il était devenu violent. Fermé à tout ce que pouvait lui offrir son bras droit et amant. Que ce soit face à son équipage, ou au cœur même de leur intimité la plus personnelle...
Et finalement, comme la Déesse l'avait prédit, Sage s'était enfui. Au détour d'une dernière nuit de folie...
Au réveil, le maudit n'avait trouvé que le vide à ses côtés. La Faucheuse avait disparu, sans explications, sans laisser de mot, sans un son, au travers de la nuit noire...
N'étaient restés au final, que lui-même et sa conscience aiguisée de ses propres fautes. Mais était-il vraiment fautif ? Lui qui avait écouté les mensonges d'une femme blessée, venant à douter de l'homme qu'il aimait... Jones, ce matin-là, s'était tristement levé. La mort dans l'âme et dans le cœur. Il s'était rhabillé, fixant la cabine qui l'entourait. « Reviendra-t-il? » s'était-il demandé. « Me craindra-t-il encore? » avait-il manqué hurler. Mais sa voix était restée muette.
Comme le fier et cynique Capitaine qu'il était, il s'était tiré de son antre, pour monter sur le pont. Les rares hommes lui ayant posé la moindre question étaient morts sous sa lame, et sous ses balles. Davy Jones s'était dirigé vers la barre, et l'avait empoignée, comme à son habitude. Il avait fixé l'horizon, en silence, cherchant le cap à suivre, regrettant déjà l'aide discrète de son Commandant.
Et sans vraiment y penser, il avait fui les continents, cherchant à partir plus loin encore que les routes maritimes qu'il connaissait déjà. Cherchant, peut-être en vain, un navire sur lequel déchaîner la fureur de son cœur blessé outre mesure. Le Hollandais Volant avait pris la mer, ce jour. La légende du navire fantôme s'était faite entendre, ce jour. Et l'homme, que restait le maudit, s'était mis à attendre, espérant revoir le seul homme qu'il eut aimé, et qu'il aimait encore, malgré son manque de courage à ne serait-ce que le montrer. Et les années avaient défilé encore, au rythme des vagues et de son désespoir...

« Au rythme d'une malédiction. »Where stories live. Discover now