Chapitre 1

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Le bruit de l'eau qui quittait le tissu de la vadrouille était agressant. L'odeur du produit nettoyant, une odeur de citron, irritait le nez. Solomon entamait le même procédé que d'habitude pour nettoyer le plancher de cette tour. Le dessous de ses yeux laissait entrevoir une peau noircie par la fatigue. La veille, comme tous les vendredi soirs, il avait fait la fête. Il avait fait la fête pour aucune autre raison qu'il avait la possibilité de le faire. Il avait rencontré des amis, avait bu jusqu'à ce qu'il ne puisse plus marcher en ligne droite, était aller dormir, s'était levé trois heures plus tard pour aller laver le plancher d'un édifice qui appartenait à un homme extrêmement riche et maintenant il maudissait l'hiver et les gens qui avait des bottes sales. La vadrouille se laissait aller sur les tuiles bleues clairs. Le jeune homme était perdu dans ses pensées. 

Solomon était majoritairement triste. Donc, évidement, il était perçu comme quelqu'un d'heureux. Les gens tristes ont cette capacité naturelle et paradoxale de paraître heureux. Ils passent maître dans l'art du déguisement émotionnel. Non pas qu'il avait une vie malheureuse. La vie n'est triste, ni heureuse. Elle est simplement le reflet de l'âme à travers nos yeux. Il avait simplement été pris dans la grande roue de la vie. Il était une semence mal germée. Comme chaque être malheureux, il le regrettait. Il le regrettait, car il n'avait aucune raison de l'être, aucune histoire touchante à raconter, aucune tragédie sur laquelle se reposer. Alors il se fondait toujours plus dans le silence, criant son mal à des oreilles insensibles. Solomon était de ceux qui était atteint d'un mal qui dévore l'âme comme une bête affamée. Un mal qui ne laisse aucun répit. Son désir de mourir n'était égalé que par une seule chose; son amour de la vie. Il ne savait que faire. Il tergiversait sur un fil d'acier, au dessus d'un gouffre aussi sombre que les fonds océaniques. Ce combat de la vie, tout le monde le connaît. Certain deviennent des funambules professionnels, d'autres des expert de l'illusion, mais tous, un jour ou l'autre, sentons le vide qui nous chatouille le dessous des pieds, qui nous murmure à l'oreille de sauter, d'oser faire le grand saut. Tous nous l'avons déjà sentis, ce vertige qui n'en est pas un. Car le vertige n'est pas la peur des hauteurs, mais cet appel irrésistible du vide qui dort au fond de chaque cœur. Le garçon le savait. Il connaissait cette sensation, elle lui était familière. Il voulait sauter. Mais la peur était grande. Solomon ne pouvait voir le fond du gouffre, n'avait aucun moyen de savoir quand et où il s'effondrerait. Il avait pourtant ces envies qui ne cessait de revenir. Il sentait, au plus profond de lui même, qu'il voulait vivre. Vivre. Il voulait goûter à la Grande Vie. Solomon voulait tout quitter et partir, voyager les grandes plaines du monde à la recherche de l'essence des choses. Le jeune homme était pris de spasmes émotionnels qui le rendait fou. Il savait qu'il pouvait partir, que rien ne le retenait. Et pourtant quelque chose le gardait ici. Quelque chose le clouait sur place, dans la principale cause de décès chez les hommes; la routine. 

Le son d'un homme qui claquait ses bottes pleines de neiges au sol fit sursauter Solomon. 

-J'espère que tu n'avais pas encore lavé ce petit coin de plancher, cria l'homme avec un étrange plaisir. 

Solomon lui envoya un regard furieux, presque dégoûté. L'homme continua à rire et entra dans le restaurant qui se situait quelques pas plus loin. 

-Connard, murmura le garçon en le regardant s'éloigner. 

En se retournant, il vit la neige qui commençait déjà à fondre sur le sol. Une idée lui frappa l'esprit avec une force hallucinante. Une petite idée, toute simple, qui, nourrit par son amour de vivre, finit par éclore. C'est dans un édifice de vitre, une vadrouille à la main, une odeur de produit chimique au nez que Solomon prit une décision qui allait changer sa vie. Il allait enfin quitter. Il en avait la possibilité. La même possibilité qui lui permettait de bouger ses bras, de marcher, de courir nu dans la rue s'il le désirait, cette possibilité de l'infini, il l'avait tout entière. Il allait l'embrasser sans gêne, il allait lui faire l'amour pour enfin caresser la vraie liberté de l'âme. On peut croire que les vies changent dans de grands moments, que nos grands moments son fait de fêtes, de cris et entouré de tout pleins de gens, mais non, les plus grands moments d'une vie se vivent seuls, en silence, l'hiver, dans un édifice, une vadrouille à la main.    

 

   

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⏰ Last updated: Mar 16, 2019 ⏰

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La banale histoire de SolomonWhere stories live. Discover now