Choix

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Je marchai sur un magnifique arc-en-ciel et des licornes nacrées embellissaient mon champ de vision. Je pouvais admirer une multitude de petits coeurs, volant autour de mon perchoir illuminé. Un sentiment de plénitude me berçait doucement. Pourtant, malgré ce cadre idyllique, je ressentais quelque chose : comme si une noirceur tentait de percer ce calme environnant.

Brusquement, je me réveillai, sans aucun souvenir de mon rêve, exceptée une appréhension qui me tenait toujours. Je me trouvais dans la salle de mon endormissement, que je trouvais bien trop haute à mon goût d'ailleurs. Qui avait eu l'idée de faire des tours de quatre-vingts étages ?

Cela faisait plus de deux heures que j'avais sombré dans le sommeil. Je me doutais qu'on allait bientôt venir me chercher, aussi, je me dépêchais de remettre de l'ordre dans mes cheveux et ma tenue. Cela se fit en évitant soigneusement de regarder par la fenêtre : passé un quatrième étage, mon vertige était tout simplement incontrôlable.

C'est une dizaine de minutes plus tard que mon guide revînt. Désireuse de mettre un nom sur un visage, je finis par céder à ma curiosité et lui demandait le sien. Sa réponse fut claire et laconique, mettant un point d'honneur à traduire ses sentiments :

- Warren.

J'avais au moins réussi à lui soutirer cette information, il semblait tellement renfermé que je me sentai comme après un exploit.

Nous reprîmes le couloir puis l'ascenseur ; cette fois-ci, direction le soixante treizième étage. Je sentis une boule d'angoisse se former dans mon ventre, j'allais seulement rencontrer des enfants comme moi et pourtant j'avais plutôt l'impression de me diriger vers la reine d'Angleterre. Mon impatience était à son point culminant, à l'image de mon anxiété. Pour éloigner ces désagréables sensations, je repensai à toutes les informations sur les huit que je possédais.

Sarnek, le plus vieux d'entre nous, était âgé de dix-sept ans et vivait au Groenland dans une tribu reculée. Un accident l'avait privé de l'usage de ses jambes, le rendant irréversiblement paraplégique. Il avait sans doute le profil le plus intrigant de tous, en raison de son mode de vie.

Cassydy et Will, quant à eux, étaient américains : l'une venant d'Atlanta et l'autre de Los Angeles. Accessoirement, je savais la jeune fille assez riche et hautaine.

Oriana et Elmood semblaient former leur inverse en habitant dans des pays pauvres et peu développés. Le garçon était le plus jeune de tous, arborant tout juste ses quinze ans.

Restaient Kol et Kita, de qui on ne savait pas grand chose hormis leur apparence et leurs dons. Tous deux avaient choisi de se faire discret, comme moi à bien y réfléchir.

L'ascenseur semblait s'arrêter à chaque niveau, ce qui rendait son avancée relativement lente. Peu après y être rentrée, je vis une autre jeune fille que j'identifiai immédiatement nous rejoindre avec son propre tuteur. Sachant déjà de quoi elle était capable, je pris mon courage à deux mains et lui parlais mentalement :

" Ravie de te rencontrer Kita. "

Se voyant démasquée et m'ayant sans doute également reconnue, elle me sourit poliment et engagea la conversation, toujours inaudible à nos guides.

Une fois arrivée à l'étage choisi, j'étais totalement tombée sous son charme. Elle respirait la bonté et la gentillesse et je me sentais déjà moins angoissée pour la suite. Je remarquai par ailleurs qu'elle s'exprimait en français, sans aucun accent. Elle devait être très douée pour les langues.

Nos tuteurs nous guidèrent dans un dédale de couloirs, de portes et de baies vitrées. Nous finîmes devant une énième salle, laquelle me sembla très vaste. Sachant déjà qui se trouvait à l'intérieur, Kita et moi respirâmes un grand coup avant de rentrer. Sa main dans la mienne me donna un regain d'énergie. Jusqu'ici je m'étais sentie seule, avoir une amie sur qui compter, on pouvait dire ce que l'on en voulait, cela faisait un bien fou.

Nous étions les deux dernières à arriver, les six autres discutaient avec leur guide ou attendaient simplement que le temps passe. À notre entrée, la plupart des conversations se turent et une femme très élégante annonça le début de la réunion. Nous nous plaçâmes en face de celle qui semblait être la directrice, puis tous les tuteurs sortirent de la pièce désormais bien vide.

S'ensuivit un exposé des derniers mois retraçant des faits marquants de notre histoire, tout comme des informations relativement secrètes : l'apparition des vagues, la création de l'ASMCDM et toutes ses activités, ainsi que plus récemment, les attaques des ombres.

Durant ce monologue, j'en profitais pour étudier mon environnement et les personnes qui m'entouraient. Contrairement à tant d'autres endroits dans cette tour, nous avions bien atterri entre quatre vrais murs, une véritable bénédiction pour mon vertige ! Hormis ce détail, c'étaient surtout les formidables peintures recouvrant la totalité des cloisons qui attiraient le regard : d'un côté, des maîtres des éléments magnifiquement représentés usant de leur pouvoir, de l'autre, des hommes et des femmes de toutes origines bâtissant dans l'harmonie les fondations de ce qui semblait être un nouveau monde. Chaque détail étant finement travaillé, la pièce imposait une sublime beauté dont ne résultait que les souffles coupés. Il ne faisait aucun doute qu'elle abritait les événements de grande importance.

La directrice entamant un sujet qui piqua ma curiosité, je lui rendis toute mon attention. Elle nous expliqua en quoi notre aide serait cruciale dans la lutte contre les ombres. Celles-ci n'étaient pas vouées à disparaître et voilà que l'on nous annonçait qu'il n'y avait bel et bien que nous pour les arrêter et les empêcher de répendre mort et désolation. Elle nous laissa donc sur un choix qui, de mon point de vue, n'en était pas réellement un : contribuer à "sauver" l'humanité de monstres incontrôlables ou bien continuer à mener nos vies posément avec des morts sur la conscience.

Pour la première fois, je croisai les regards des sept autres. Le sentiment d'être perdu se lisait à l'intérieur de chacun, avec plus ou moins d'intensité. D'une certaine façon, nous étions manipulés, et pourtant... La directrice nous informa par la suite qu'elle nous laissait faire librement notre choix, puis se retira. Un silence de plomb s'abattit alors sur la pièce.

Le portail des ombres [En Pause]Where stories live. Discover now