Chapitre I

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-Cette robe est beaucoup trop serrée, se plaignit la jeune fille tandis que sa gouvernante attachait les derniers rubans dans son dos.

-Elle vous va à ravir, Mademoiselle, et c'est tout ce qui compte, rétorqua Mme Levin en lui adressant un regard sévère, signe que son affirmation ne souffrait d'aucune réplique. 

Alice se retint de lever les yeux au ciel, sentant son visage rougir à cause de ce maudit tissu qui lui coupait la respiration. D'accord, la nouvelle trouvaille de son père, achetée à Londres lors de son dernier voyage, était ravissante de part sa superbe couleur argentée et son buste parsemé de pierres bleu turquoise, ainsi que ses élégantes manches bouffantes, mais elle n'était pas du tout confortable et certainement pas pratique pour les promenades en forêt.

-Je devais accompagner Guillaume pour sa fameuse chasse à courre. Comment voulez-vous que je monte à cheval avec cette tenue ? 

-Mademoiselle, vous n'irez nulle part aujourd'hui, décréta la vieille pie d'un ton sec. Avez-vous donc oublié pour quelle occasion votre père vous a offert cette robe ?

La jeune fille baissa les yeux, tout optimisme quant à cette magnifique journée d'été ensoleillée envolé.

-Bien sûr que non. Comment le pourrais-je ? Vous ne me parlez tous que de ça depuis deux semaines. 

-C'est parce que c'est très importante pour votre vie future, Mademoiselle. Ce soir, vous allez rencontrer l'homme que vous épouserez dans un peu moins de deux ans, et vous devrez annoncer vos fiançailles au prochain printemps. Vous ne pouvez en aucun cas vous dérober comme la dernière fois. C'est un excellent parti, et il est plutôt bel homme.

-J'aurais néanmoins préféré choisir, marmonna Alice en espérant presque que la gouvernante ne l'entendrait pas. Je n'ai même pas encore treize ans.

-Tout bonne fille bien éduquée se marie avant ses quinze ans dans toutes les familles de la haute bourgeoisie, c'est ainsi, s'impatienta Mme Levin, et vous n'y pouvez rien. Vous n'échapperez pas plus à cette règle que votre mère ou votre soeur. C'est votre destinée, et il serait tant de vous y faire.

Alice lui jeta un regard méprisant.

-C'est facile à dire, pour vous : personne ne vous a obligé à épouser un homme deux à trois fois plus âgé que vous. D'ailleurs, vous n'êtes même pas mariée.

-Cessez donc avec cette maudite impertinence ! la reprit la vieille femme avec un rictus au coin des lèvres qui montrait clairement chez elle son énervement. Je ne vous permets pas de critiquer ma vie privée, que cela soit bien clair entre nous, je ne m'occupe de vous que parce que ce travail est bien payé, mais je n'hésiterai pas à rapporter le moindre de vos écarts à votre père. Compris ?

La jeune fille, vaincue, grommela de vagues excuses et s'absorba dans la contemplation du parquet de sa chambre, pourtant guère intéressant en temps normal puisque dépourvu du moindre artifice, comme le reste de la demeure familiale, en réalité. Cela ne faisait que très peu de temps que cette vieille pie de Mme Levin travaillait au manoir en tant que gouvernante pour la plus jeune fille du riche et réputé marchand Olivier de Montersky, et cela n'était pas pour plaire à l'adolescente, au contraire.

 La famille De Montersky avait de lointaines origines anglaises, mais cela faisait des générations et des générations qu'elle était venue s'installer dans la quasiment mythique capitale de la France, Paris, la Ville des Lumières. En tant que lignée noble et richissime, ils avaient tous pour devoir de se conduire parfaitement bien en société, ce qui incluait pour Alice à son plus grand malheur d'apprendre à prendre le thé dans un salon pendant des heures et à faire semblant d'être une pauvre idiote jusque belle à regarder alors qu'elle était au moins trois fois plus intelligente que son frère et savait parler et lire à la fois le grec ancien, le latin, l'espagnol, l'italien et l'anglais bien sûr. 

La Magicienne : Les Chroniques du TempsWhere stories live. Discover now