3. Morosité

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Victoire, le dos collé contre le morceau de mur en béton, leva les yeux et l'aperçut. La lune, seule dans un ciel sans nuage, éclairait le paysage post-apocalyptique de ses rayons. Elle brillait tant qu'elle en éclipsait les étoiles. La voix était toute proche de Victoire qui n'eut aucun mal à la voir. Le propriétaire avait forme humaine, de ce qu'elle observait de prime abord. Il était accroupi au-dessus d'elle, sur la tranche détruite du mur.

— C'est à moi, répéta-t-il.

Victoire cria d'effroi, puis fit un brusque et involontaire mouvement arrière, et chuta. Sept étages plus bas, son corps heurta les décombres et sa vie s'en fut dans un bruit sourd d'os broyés. L'autre se laissa tomber à côté d'elle, freinant sa chute au dernier instant, et posa délicatement pied à terre.

— Félicitations, tu l'as tuée, dit-il à la petite sphère violette qui gigotait autour du cou de la défunte.

Il se pencha pour la saisir mais elle se détacha et s'envola au loin. L'homme bondit pour la saisir mais elle esquiva son geste et virevolta plus loin.

— Reviens ici ! s'écria-t-il. Saleté ! 

Il courut après elle de ruine en ruine, la maudissant un peu plus à chaque pas. La sphère rieuse lui glissait entre les doigts et lui échappait toujours. Ce manège dura un bon moment, l'individu bondissant de rue en rue dans la ville désertée. Soudain, une main gantée de noir se referma autour de la sphère qui émit un bruit semblable à un gémissement. L'individu stoppa sa course et fit face à un guerrier plus terrifiant que lui.

— Merci, dit-il en tendant une main pour récupérer la fugueuse. Cette saleté a la bougeotte.

L'autre le regarda, étira brièvement les lèvres, et serra le poing. La sphère rejoignit le néant en un éclat pourpre.

— Tu mourras ici, en punition. Il ne fallait pas la perdre.

Puis, sans attendre la réaction du premier, le guerrier disparut dans la nuit, laissant l'autre voué à une mort certaine après une vie de guerre sur ce champ de bataille.

La campagne était à l'image de la ville que le guerrier venait de quitter : dévastée. Les cadavres s'amoncelaient le long des chemins, nourrissant les charognards et les monstres que le nuage pourpre avait engendrés. La guerrier noir courut à vive allure à travers plaines et champs jusque à ce qu'il eut atteint un point culminant de la région. Il s'y arrêta, et contempla ce monde qui ne demandait qu'à être conquis. 

Chaos ôta sa capuche afin de mieux admirer ces paysages ensanglantés. Les armées de son frère, Érébos, se dispersaient aux quatre coins du monde, conformément aux ordres. Chaos lui n'obéissait à rien, ni personne. Érébos le savait, tout comme il savait que jamais son cadet ne refuserait une occasion d'illustrer son nom. 

Chaos n'avait pas son pareil pour semer mort et désolation sur son passage. Ce monde n'attendait que lui, et il ne savait par où commencer, ni s'il avait réellement envie de commencer. Les armées avaient ordre de détruire les civilisations, en commençant par les grandes ville. Le monde devait régresser pour mieux s'agenouiller

Devant le guerrier s'étendaient des montagnes, une longue chaîne difficile à traverser. Derrière lui était la ville en ruine, accolée à l'océan. Il hésita, son envie de destruction s'était calmée au cours des heures précédentes, temps qu'il avait employé à détruire tout ce qu'il pouvait dans la ville. 

Chaos entendit un craquement derrière lui et se retourna, bouclier levé et épée en main. Un homme se tenait là, effrayé, blessé, avec pour toute arme une branche qu'il n'avait même pas taillée. Chaos soupira et rengaina son épée. Un lancer de dague plus tard, la « menace », n'était qu'un souvenir. C'était un signe, ce monde n'était à la hauteur de ses envies destructrices, trop faible. Chaos n'avait plus rien à faire là. Il sortit une petite chaîne cachée sous ses vêtements où pendait une sphère violette semblable à celle qu'il avait précédemment anéantie. Il murmura une incantation et disparut, emporté dans les nuages par un-éclair pourpre.

Il atterrit sur une petite île, morceau de terre flottant dans les airs. Les roches affleuraient, rien ne poussait ici. Chaos pénétra dans une caverne éclairée de quelques torches, posa ses armes dans un coin, ôta ses vêtements, et se baigna dans la rivière souterraine qui coulait là.

— Je ne comprends pas pourquoi Érébos voulait-ce monde, dit-il à voix haute tout en se frictionnant. Il n'y a rien là-bas. Pas de guerriers, pas de reliques, pas de magie, rien.

Il parla ainsi seul pendant son bain, il décrivit les ruines en feu, les citoyens implorants, les monstres sans pitié, et le désespoir qui s'était abattu en bas.

— Bientôt il ne restera plus rien de ce monde. Un de moins.

Chaos sortit de l'eau, s'entoura d'un linge blanc, et vint s'asseoir sur l'un des rares meubles présents, un large banc de bois de couvert de coussins et de couvertures. Le guerrier glissa une main sur le sofa, puis il se pencha et déposer un baiser sur le front du corps étendu là.

— Je sais que tu désapprouves, dit-t-il à la forme inconsciente. Mais telle est ma nature. Un jour tu comprendras.

Puis il sortit admirer le coucher de soleil sur l'océan de nuages.


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Merci d'avoir lu ce chapitre ! 

Axel.  

ChaosWhere stories live. Discover now