Le Sixième Voyage de Sindbad le Marin

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Source : La rivière aux trésors

En s'éveillant ce matin-là, Schahriar posa un regard pensif sur Sheherazade qui dormait paisiblement de son côté de la couche, conscient de sa place même dans son sommeil. Les longs cheveux dénoués du conteur glissaient sur ses épaules couleur de cannelle, dévoilant leur courbe harmonieuse qui n'avait rien de féminin, et le sultan réalisa avec un nouveau coup au coeur que c'était bel et bien un homme qu'il avait épousé. Certes, il le savait, mais une dizaine de nuits ne peut effacer des années d'habitude, et il s'en étonnait encore parfois, alors qu'il pensait s'y être fait. 

L'audace du jeune homme n'avait d'égales que sa bonté, son intelligence et sa beauté, un mélange rare qui plaisait au souverain, lequel se demanda soudain s'il aurait le courage d'ordonner son exécution. C'était une chose de mettre à mort une femme infidèle qui l'avait trahi en lui brisant le cœur, c'était une chose de faire étrangler des inconnues qui avaient seulement partagé son lit pour une nuit, mais c'en était une autre de prendre cette décision pour un jeune homme qui n'était coupable que de lui avoir déclaré son amour et de s'attacher à le prouver nuit après nuit avec des récits merveilleux. Troublé, le sultan se leva avant de tendre la main pour toucher cette si belle épaule qu'il avait bizarrement envie d'embrasser, et il quitta ses appartements en vitesse pour aller prendre sa place sur son trône et vaquer à ses royales occupations.

Inconscient de l'effet que commençaient à avoir ses paroles sur son époux, Sheherazade se réveilla au cours de la matinée et passa la journée à préparer son récit des voyages de Sindbad le Marin. Il approchait de la fin de cette aventure et n'espérait donc pas survivre plus de trois nuits, à moins que ses contes n'aient réellement touché le sultan. A vrai dire, il se fichait bien de vivre ou de mourir, tout ce qu'il voulait c'était montrer à cet homme à quel point il l'aimait et combien un homme pouvait en adorer un autre au point de tout donner pour lui, y compris sa vie.

La journée passa, comme les autres avant elle, dans cette prison dorée qu'étaient les appartements du sultan, sans que le jeune homme ne se sente à l'étroit. Pour rassurer son mari, il aurait accepté de rester enfermé dans les geôles du palais ou d'être gardé par des golems dans de bien pires conditions. La solitude ne lui pesait pas, au contraire, elle lui permettait de réfléchir et de savourer les infimes gestes d'affection que le sultan Schahriar lui avait offerts.

Enfin, le crépuscule approcha et, avec lui, le monarque qui s'en revenait dans ses appartements partager son souper en compagnie de son conteur. Comme les jours précédents, Sheherazade s'enquit des affaires qui l'avaient tenu occupé et tâcha de lui apporter le secours de son esprit acéré pour démêler certaines histoires trop compliquées, jusqu'à ce que Schahriar se lève.

- Allons, dit-il, trêve de ces ennuyeuses doléances. Venez, gagnons notre couche. Il me tarde de savoir ce qui s'est passé au cours de ce sixième voyage.

Amusé par son impatience, Sheherazade se laissa entraîner jusqu'au lit couvert de coussins où il s'installa gracieusement pour reprendre son récit là où il l'avait laissé.

- Je ne vous surprend pas, Sire, en vous disant que le Voyageur retrouva son hôte dès le lendemain pour apprendre ce qui lui était arrivé durant son sixième voyage. Cet étranger était en quête de réponses, et pressentait qu'il les découvrirait bientôt car Sindbad le Marin arrivait au terme de ses aventures. Pourtant, c'est avec un caractère égal que ce dernier le reçut à ses côtés et commença à parler pour lui raconter ce nouveau voyage.

- Ayant réglé la majorité de mes affaires, dit-il, je m'apprêtai à partir en compagnie de mon bien-aimé vers Asamara. J'emportai avec moi la moitié de ma fortune, et j'envoyai le reste à Marhabaan par des moyens détournés, ici une caravane, là un navire marchand, de sorte qu'un malencontreux naufrage ne me fit perdre que peu de choses. Au bout de quelques mois, nous quittâmes donc cette ville en ne laissant derrière nous que cette demeure où nous nous trouvons aujourd'hui, et quelques biens qui devaient me permettre de vivre un moment si je venais à y revenir, par un coup du destin. Bien m'en prit, comme tu peux le constater, mais lors de ce sixième voyage je pensais ne jamais remettre les pieds dans cette cité, du moins pas de manière définitive.

Contes des Mille et Une Nuits [BxB]Where stories live. Discover now