23 avril

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  C'est en cette nuit de pleine lune que j'écris ces mots. Mots qui ont du mal à sortir tellement mes pensées sont confuses par ce qu'il s'est produit alors que je rentrais de la prépa.

    J'ai rencontré une fille qui était assise sur un banc, dans le parc que j'ai l'habitude de traverser en revenant chez moi. Elle avait de longs cheveux blonds, légèrement décoiffés, avec des vêtements qui commencent à être rongés par le temps. Elle ne doit pas être bien plus âgée que moi de ce que je peux voir. Et au vu de la taille de son sac, elle semble venir aussi d'une classe préparatoire. Une fille banale, qui vient peut-être de mon école, que j'aurais pu ignorer. Mais je ne pouvais pas ignorer ça.

* * * * *

Traces sur la jambe droite, pointes des cheveux peu entretenues, un regard exprimant une profonde solitude, avec une certaine mélancolie

* * * * *

  Cette fille ne prend pas soin d'elle ? Ai-je pensé au début. Mais son regard ne disait pas cela. Elle semblait résolue dans un sens. Résolue à quoi cependant ? Et si elle était résolue à en finir ? Mais non. Pourquoi vouloir être dans un parc, qui puis-est fréquenté, si l'on déprime ? Pour se changer les idées sans doute. Mais elle a eu la volonté d'elle-même au vu de son regard, personne ne l'a poussée à y aller. Elle veut vivre. Elle est résolue à vivre.

  Cette fille a été abandonnée, et veut se relever de cette dure épreuve. Tel a été ce que j'avais en tête en m'approchant d'elle pour lui parler :

"Dans ce regard qui est tien, et malgré ta bonne volonté, gâches-tu ton temps ? À n'être qu'un bon à rien, garde ton amabilité, et repars dans le vent"

  Telles sont les paroles qu'elle chantonnait quand je m'approchais d'elle. Des paroles tristes ? Elle ne me semble pas bavarde, mais je pense pouvoir la comprendre et l'aider. Mais alors que je m'apprêtait à lui parler, elle s'est tournée vers moi pour me dire :

"Tu sens la trahison. Tu ne vaut pas mieux que les autres. Tu n'es qu'un enfant"

  Quoi ? Comment une personne que je ne connais pas ait pu me dire quelque chose de si violent ? Pourquoi m'a t'elle dit de partir de cette façon ?

En sortant du parc j'y ait repensé, et si elle parlait vraiment de ce jour-là ? Nan elle ne me connaît pas, elle ne peut pas le savoir. Mais toi, cher journal, tu devrais le savoir :

  Je n'ai jamais eu beaucoup d'amis au collège. Cette époque a failli être destructrice pour ma vie. J'ai alors appris à ne plus parler avec les personnes. M'isoler. C'est comme cela que j'ai appris à lire les gens, pour savoir qui ils sont, sans même dire un mot, sans même m'approcher d'eux. Cette technique, qui s'appelle apparemment le "cold-reading", m'a encore plus isolé. Non seulement je ne parlais plus, mais ce "talent" a fait peur à beaucoup de monde autour de moi, me rendant encore plus repoussant. Ce n'est qu'en quatrième que j'eus mon premier véritable dialogue avec une personne de sixième, nommée Julien. Contrairement à tout le monde, il était fasciné que j'ai ce "pouvoir" comme il l'appelait. C'est comme cela que je me fis mon premier ami au collège. Et le dernier d'ailleurs.

  Il y a encore beaucoup à raconter sur Julien, surtout à l'époque du collège, mais je pense qu'il me faudrait plusieurs dizaines de jours dans ce journal avant de pouvoir raconter entièrement son histoire.

  Mais revenons-en à cette fille. Pour pouvoir me repérer dans mes pensées, je vais appeler cette fille Alice, car elle me fait penser à l'héroïne d'Alice aux pays des merveilles. En plus froide. Bref.

  Cela vient de me traverser l'esprit, mais si elle savait vraiment que j'utilise le cold-reading ? Comment cela est possible, alors qu'elle ne m'observait même pas sur ce banc ? Elle me connaissait ? Non je m'imagine des choses... J'espère que je m'imagine des choses.

Le pire, c'est qu'au vu de son énigme, j'aurais pu m'entendre avec elle. J'aurais pu. Mais quelque chose me dit que je n'aurait jamais l'occasion de lui parler, tant elle à l'air de me détester...

  Il commence à se faire tard, bien que si je me fie à l'heure inscrite sur mon réveil, dire qu'il commence à se faire tôt est plus approprié. Demain je dois voir Orphée, je devrais dormir afin d'avoir les idées un peu plus claires. Peut-être devrais-je lui parler de ce qu'il s'est passé aujourd'hui... Enfin je devrais plutôt dire hier.

N.

Journal ordinaire d'une personne anonymeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant