STUPID LOVE SONG

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CHAPITRE 1

Sans sucre s'il vous plaît...

Regardez-moi. Je suis là, perchée comme une conne devant le miroir de ma salle de bains dans la robe de mariée de ma sœur qui a fêté le plus beau jour de sa vie deux mois auparavant. Ce qui est pratique avec ma sœur, c'est que nous faisons la même taille, par conséquent je peux emprunter ses affaires parmi toutes ses tenues qui ne tiennent même plus dans un seul dressing. C'est la deuxième fois cette semaine que je remets sa robe... Le temps d'un instant, je ressens à nouveau les cris de joie, le buffet, la musique et le parquet glisser sous mes pieds. Ces instants magiques qui appartiennent à cette robe, et surtout à ma sœur, me reviennent dans ce miroir comme une rétrospection de moi-même, de mon moi intérieur. J'ai 20 ans et je n'ai encore rien fait de ma vie, même si celle-ci ne fait que commencer. Depuis l'âge de 13 ans, j'ai enchaîné une multitude de garçons à faire pâlir le calendrier chrétien au vu des nombreux Arabes et Italiens qui s'y sont glissés. Pas ma faute si j'ai un faible pour leur côté ténébreux et mystérieux. Depuis toutes ces années, aucun de ces garçons, et j'insiste sur le mot garçon et non homme, ne m'a fait rêver, rire sans m'arrêter, et surtout aucun d'entre eux ne m'a fait devenir folle à lier au point de vouloir lui donner ma vie. À part peut-être Gabriel. Mais que peut-on penser de ces relations adolescentes qui ne se sont créées qu'au gré de nos hormones en pleine activité ? Je l'ai aimé oui, avec passion et dévotion, mais le résultat a fait qu'au bout de trois ans de combat pour le garder près de moi, cette passion est devenue un jeu de manipulation mélangé à l'amertume et au désarroi... J'en ai pleuré, j'en ai bavé, allant jusqu'à la tentative de suicide, passant par de nombreux psychanalystes qui n'y pouvaient rien. J'ai enchaîné traitement sur traitement pour m'en sortir et me rendre compte que les médicaments que j'ingurgitais comme une droguée que j'étais ne m'ont sauvée que du gouffre dans lequel je m'étais enfermée seule. Dans ces cas-là, personne ne peut rien pour vous, les gens contribuent seulement à votre maintien, comme s'ils représentaient ce vent qui vous pousse à ne pas sauter de cette falaise dont le vide vous attire dangereusement. Ma mère bien sûr n'a pas compris au début : crise d'ados pour certains – surtout pour elle –, rébellion pour d'autres... Je me suis sauvée, seule. Mes amis, du moins ceux qui n'ont pas abandonné face à cette dépression qui peut devenir contagieuse, m'ont évidemment permis d'avancer, en me proposant sortie sur sortie, persuadés que pour oublier un homme, il faut en rencontrer un autre. Seulement quand vous ne voulez rencontrer personne d'autre, les jeunes hommes remplis de testostérone n'apprécient guère vos sarcasmes et votre cynisme. Il suffit tout simplement d'attendre. Pour ma part, j'ai attendu deux ans, ma passion m'a sauvée. La danse m'a permis d'extérioriser toute ma colère par la scène et mes angoisses ont disparu petit à petit avec les applaudissements qui s'élançaient chaque soir. Mes études ne m'ont servi à rien. Mes profs ne m'ont rien appris. C'est sûr qu'au lycée, il n'y a pas de cours de psychologie qui vous aide à affronter vos sentiments trop entreprenants pour les personnes fragilisées par un manque paternel. Cela dit, avec toutes leurs études, leurs conseils, leurs paroles récurrentes : « Ça va passer, tu en verras d'autres, tu mérites mieux... », la souffrance ne part pas, on apprend seulement à vivre avec. Ce masque, qui ne prenait qu'une partie de mon visage enfant, a maintenant enveloppé la quasi-totalité de mon corps, me créant une carapace impénétrable. Mes idées préconçues du mariage et du bonheur et surtout de l'homme « parfait » ont changé avec le temps, de mes 13 ans du prince charmant à mes 20 ans de l'amant, je fais aujourd'hui le point sur ma vie dans ce miroir. Et le bilan est...

« T'as fini avec la salle de bains April ? »

J'ai une minute pour enlever sa robe, effacer les traces de mascara qui ont coulé, et mettre en boule cette dernière dans le placard près de la fenêtre. Par pitié, faites qu'elle n'ait pas besoin de quelque chose dans ce placard. – Hum... À quoi bon prier ? Ça fait 10 ans que je demande d'avoir plus de poitrine et je fais toujours un 85B. J'ouvre enfin la porte, mon sweat à capuche enfilé sur un jean brut cache mes spasmes. Je souris à ma sœur et la laisse entrer dans la seule salle de bains de la maison puisque celle du bas n'a jamais fonctionné. Imaginez trois filles qui doivent à la même heure, le même matin, après avoir déjeuné en même temps, utiliser la salle de bains. Entre une mère avocate qui soigne le moindre détail d'un brushing parfait sur un tailleur parfait qui lui va comme un gant depuis 10 ans et une sœur névrosée qui, étant esthéticienne, passe 10 fois plus de temps à se maquiller et bien sûr utilise 10 fois plus de produits toujours neufs, qui laissent après leur passage un champ de bataille dans une salle de bains qui ne peut contenir qu'une névrosée à la fois – voire deux si elle prend sa douche ou son bain – autant vous dire que souvent, à 7heures, la guerre est déclarée. Heureusement Lexia, qui vient de se marier, part emménager avec son mari dans un mois puisque celui-ci est parti en voyage d'affaires le lendemain de leurs noces. Enfin, si d'ici là leur couple ne capote pas. « Moi j'dis ça, j'dis rien ». Pour ma mère et ma sœur, je suis une fashion victim. J'ai le dernier Longchamp, je fais un charbonnage en fonction de la couleur de mes vêtements, je porte des Ray Ban pour chaque jour de la semaine, je m'accessoirise comme un sapin de Noël et je vis avec mon iPod. Pour moi, je suis un simple produit de consommation, une jeune fille comme les autres qui est juste blasée. D'après le magazine Psychologie, la fin de l'innocence pour l'adolescence et la déchéance pour les jeunes nouveaux adultes. Évidemment, nous sommes en pleine perdition, la vie ne nous a pas épargnés et bla- bla-bla et bla-bla-bla. Un père absent ? Et c'est le drame. Rappelons que maintenant, on ne demande plus si on a toujours ses parents, mais s'ils sont divorcés. Les psychanalystes adorent se pencher sur la jeunesse qui doit les remplacer, alors les sociologues et ethnologues s'arrangent pour nous valoriser en nous dévalorisant. Paradoxalement ils se contredisent, mais ça, personne ne le dit. « Les jeunes sont fainéants, ils ne sont pas cultivés, les réseaux sociaux comme Facebook, Insta, Snap, dégradent activement la communication et les iPod les renferment sur eux- mêmes, créant des conflits générationnels ». De plus, l'alcool et les drogues augmentent à une vitesse alarmante, mettant tous les jeunes dans le même sac. Les «grands patrons» écoutent TF1 et lisent les journaux « Comment dompter votre adolescent et votre jeune adulte », et vous voient d'un mauvais œil dès que vous déposez un CV sur le bureau. « Vous fumez? Vous buvez?» Et toi tu ne bois pas le samedi soir chez toi connard ? – Désolée –. Ils n'ont pas tort, beaucoup ne se voient pas dans la société que notre pays s'efforce de façonner d'une image presque parfaite. Seulement entre drogués, anorexiques, chômeurs, violeurs et dealeurs, il reste une minorité de jeunes qui voudraient être écoutés et ne cherchent qu'à trouver une place dans ce monde qu'ils s'efforcent de comprendre (avec plus ou moins de difficultés). Je pourrais parler des heures du monde qui « tourne mal », mais je n'en vois pas l'utilité et je n'en ai pas l'envie. De plus, il faut que je trouve un job et je me suis promis de rentrer avec un contrat ce soir. Je repense à cette robe de mariée dans laquelle je me sens si bien, car elle est pour moi une sorte de prison dorée dans laquelle tu peux t'enfermer et te dire : « Tout va bien, mon mari m'aime, j'aime mon travail et je vais mourir heureuse ». OU PAS ! Le wedding blues, le divorce, les endettements... Bref, en fait cette robe me permet juste de rêver comme avant à ce rêve de « princesse déchue » qui croyait encore au mariage éternel, à la fidélité et au couple indestructible. Ce n'est pas parce que je suis blasée, que je ne rêve plus, je veux un mariage avec une robe blanche, des roses rouges, un buffet somptueux, un DJ et je veux que mes amies m'envient d'avoir trouvé un homme parfait (qui ronfle et qui ne range pas ses chaussures certes), mais qui me comblera de bonheur avec de petites attentions et un peu (beaucoup) de romantisme. On s'en fout si la tour Eiffel ou les Champs-Élysées ça fait cliché, emmène-moi là-bas pour m'embrasser merde ! April. Je hais mon prénom parce que je hais ce mois. C'est un mois « bateau ». Il n'y a jamais rien en avril, en mars c'est le mois cinéma, strass et paillettes, avec ses festivals et avril c'est la déprime (qui fête le poisson d'avril de nos jours ?) ; avril ne te découvre pas d'un fil ! Ça veut tout dire ! Et mai, c'est le début des préparatifs pour l'été ainsi que les examens... Bon OK, subjectivement tout est relatif. J'ai envie de dire LOL. Ça, c'est fait. J'habite en banlieue parisienne. Je prends le RER A pour aller jusqu'à Paris centre rejoindre mes meilleures amies chaque jour pour boire un Starbucks (comme toujours). À 15heures, nous avons rendez-vous tous les samedis au Starbucks du Marais. Marie, ma meilleure amie, a choisi notre QG en plein centre de PD-LAND (c'est elle qui le dit) pour ne pas être accostées toutes les 30 minutes (c'est encore elle qui parle) par des gros lourds moches et sans cervelle (c'est encore... OK j'avoue j'l'ai dit aussi)... Au moins chez les gays, ils ne te regardent pas (bon c'est vrai parfois c'est frustrant), mais au moins on peut parler mode et épilation, on est sûr que nos sujets de conversation se combinent aux leurs... Mais pour bien prouver notre ouverture d'esprit, nous avons un garçon avec nous (certes gay), mais un homme et il en faut toujours un... Tony. Malicieux, drôle, charismatique et bien sûr beau (on remarque que les plus beaux garçons sont gays, de toute façon. « Chérie, si ton copain a plus de produits de beauté que toi, c'est un homo »). J'arrive comme à mon habitude en avance. Je prends un frappucino chocolat java chip (quelle utilité de vous le dire ? Et bah, comme ça, vous vous sentirez moins seul quand vous en prendrez un, en tall OK ?). Une banquette se libère, et je réserve notre « salon » pour les deux heures qui suivent. Mon iPod m'accompagne dans ma solitude et évidemment, il me met une chanson déprimante. MODE ALÉATOIRE. Non. Non. Vitaa, autant se suicider... Tragédie, j'ai ça dans mon iPod moi ?! Kyo ? On aura tout vu... Ah bah voilà, Justin Timberlake et son sexe appeal. Je regarde par la fenêtre, la pluie bat son plein et l'eau s'écoule sur la vitre me renvoyant un reflet déformé de mon visage pâle (j'aurais mieux fait d'insister sur le fond de teint. J'm'en fiche, l'homme de ma vie ne prendra pas un café aujourd'hui).

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⏰ Last updated: Apr 18, 2019 ⏰

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