Être un homme comme vous

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            On raconte plus d'une histoire étrange sur la jungle de l'Inde, mais aucune n'est aussi singulière que celle d'un petit garçon nommé Mowgli.

            Cela commença le jour où, dans le silence de la jungle, un bruit insolite se fit entendre. Un bruit qu'on n'avait encore jamais entendu dans cette partie reculée de la forêt. C'était un petit d'homme. Si Shere Khan avait pu savoir jusqu'où cela l'entraînerait, il aurait immédiatement fait demi-tour. Mais le tigre s'avança tout près de ce panier d'où provenait le cri, jusqu'à le toucher. Les yeux du petit d'homme rencontrèrent ceux du félin, et une idée machiavélique commença à germer dans l'esprit de l'animal. Un sourire se dessina sur son visage puis il entrouvrit la gueule pour attraper les deux anses et, ainsi, emmener avec lui le petit d'homme. Mowgli venait de se faire adopter.

            Les jours passèrent et Shere Khan alternait entre nourrir le petit d'homme et lui inculquer les valeurs chères à son coeur.

- Pourquoi les hommes sont mauvais Papa Tigre ? demanda le garçon.

- Ce sont des tueurs Mowgli. On ne peut pas leur faire confiance.

- Il y a peut-être des gentils hommes parmi les hommes ?

- Non, répondit le tigre avec fermeté. Ils sont tous mauvais Mowgli, tous.

Et ainsi, Shere Khan transmit à Mowgli sa haine pour les hommes. Bien sûr, le tigre savait bien ce qu'était Mowgli : un petit d'homme sans griffes et sans poils, et qui deviendrait bientôt un prédateur sanguinaire, tenant entre ses pattes la fleur rouge. Et c'était exactement pour cela que Shere Khan l'avait recueilli. Grâce à ce petit d'homme qui croyait être un tigre, sa vengeance sur les hommes allait pouvoir être fantastique, phénoménale, un réel spectacle dont il pourrait se délecter en toute quiétude.

            Mowgli essayait de rugir comme un vrai tigre. Ses petits cris étaient ridicules, cela faisait sourire Shere Khan. La foi de ce petit d'homme était inébranlable, il pouvait lui reconnaître cela. Chasser s'avérait plus compliqué. Lorsque l'on est dépourvu de griffes, il n'est pas aussi aisé d'agripper l'arrière-train d'un cerf ou d'une antilope. Cela n'était pas venu à l'esprit du tigre, habitué à tuer sans trop d'efforts. Mais le petit n'était pas facilement découragé, c'en était épatant. Pour lui, traquer, fureter, tout cela était un jeu. Un jeu qu'il appréciait beaucoup en compagnie de son Papa Tigre. Ce qu'il préférait dans la journée, c'était quand, après une chasse exténuante à ramper et se cacher, ils se reposaient tous deux à l'ombre d'un arbre. C'était l'un des rares moments où Mowgli avait le droit d'aller contre le flan chaud et doux de son Papa. Alors le petit d'homme fermait les yeux et s'imaginait comme dans un de ces cotons blancs que l'on peut apercevoir dans le ciel.

            Mowgli grandissait et il était maintenant assez âgé pour que Shere Khan le laisse vadrouiller dans la vaste jungle. Le tigre avait confiance en lui. Ou plutôt, il savait que le petit d'homme avait assez confiance en lui pour ne pas s'éloigner de trop. Il finissait toujours par revenir. Il était vraiment dégourdi, Shere Khan s'en étonnait encore quelques fois. Lui qui pensait tous les hommes stupides et violents, il avait trouvé en Mowgli un être habile et doux. Bien sûr, sa jeunesse le rendait aussi fougueux et, quelques fois, candide mais Shere Khan veillait à répondre à toutes les questions qu'il pouvait se poser, aussi naïves soient-elles. Il ne faudrait pas qu'il devienne aussi bête que ces vautours, ou aussi paresseux que ce vieil ours Baloo. Peut-être commençait-il à apprécier Mowgli ? A s'attacher à lui ? Non. Le petit d'homme était le petit d'homme qu'il était car Shere Khan l'avait élevé comme cela ; comme un tigre. Il avait besoin de lui. Il avait besoin qu'il soit fort, courageux, méprisant. Sur ce dernier point, il restait encore de quoi faire. Mais Shere Khan avait une longue vie derrière lui. Il était patient. Et en continuant sur cette voie, il ne faudrait pas attendre beaucoup plus pour que, enfin, Mowgli puisse infliger aux hommes du village voisin la douleur que l'un d'eux avait infligé à Shere Khan.

Être un homme comme vousWhere stories live. Discover now