[Chapitre 2] - Amour sucré

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— Arya Rosenwald !


La voix claironnante de ma mère me réveille en sursaut. Elle et sa fâcheuse manie de remplacer le chant du coq ! En bâillant, je refais ma longue tresse brune et j'aère ma chemisede nuit en lin collée par la sueur. Un courant d'air passe au creux de mes reins : la récolte des rêves a sonné. Une fois encore, je n'ai pris qu'un repos sommaire et je vais en payerle prix fort lors de cette journée bien remplie.


La bouche pâteuse, je descends l'escalier jusqu'à la salle à vivre. L'odeur enivrante de la brioche à peine sortie du four réveille mon estomac bien avant mon cerveau. Les jumeaux dévorent leur part, assis à notre robuste table en chêne ; leur tête disparaît derrière un gros bol en faïence.

Ma mère ne plaisante pas avec le premier repas de la journée. Lilith me fait coucou de sa main collante de sucre. Sa jolie mine chiffonnée m'amuse ; ses cheveux blonds comme les bléstrempent dans son lait. Sam vient me serrer dans ses bras avant de repartir à sa place et de faire plonger ses soldats miniatures dans sa boisson pour une mission de la plus haute importance.

Pieds nus sur le tapis rugueux, je rejoins ma mère qui m'attend devant la cheminée, les poings sur ses hanches bien dodues. Aujourd'hui, elle a relevé ses cheveux cendrés en un chignon un peu lâche. Je la trouve belle avec ses mèches grisonnantes. Ses ridules au coin des yeux me rappellent non pas qu'elle prend de l'âge, mais qu'elle rit sans arrêt. La vue de ses mains pleines de farine m'arrache un sourire. L'absence de Phinéas, mon père, indique qu'il s'active déjà à son labeur. Il part toujours très tôt dans son atelier, emportant son café.

— Jeune fille, je remarque que tes cernes sont assortis à la couleur de tes yeux. En voilà une qui a encore passé la nuit le nez dans ses bouquins !— Je ne vois pas de quoi tu parles.— C'est ça, moque-toi de ta vieille mère. Vous êtes tout échevelée, demoiselle ! On dirait un ours hirsute !

Sournoisement, elle tente d'attraper son instrument de torture favori sur la table, mais mon doigt se pointe vers elle dans un avertissement.

— Oyana...— Ne m'appelle pas par mon nom, ingrate. Je mets un point d'honneur à ce que tu sois féminine pour que tu ne finisses pas mariée à du cuir ! Un peu de coquetterie ne te ferait pas de mal.— Je suis loin de ces considérations, maman chérie.— Je suis au courant.

Une fois la brosse en poil de sanglier hors de portée, j'embrasse sa joue et respire au passage son odeur qui m'enchante, celle de la fleur d'oranger. Elle me sourit, ce qui rend son visage encore plus jovial. Malgré ma petite taille, je la dépasse. C'est ma boule de bonne humeur et d'amour.

— Le roi et ses convives n'attendront pas leurs commandes juste pour que damoiselle Arya lambine, me sermonne-t-elle d'un ton réprobateur. Cette semaine va être chargée ; nousdevons fournir les établissements, le stand et les cuisines. Je tiens à respecter les horaires et mes engagements.— Je sais, maman.— Le Grand Marché d'Hélianthe et la Foire aux Inventeurs viennent d'ouvrir leurs portes...— Je sais.— Nous devons nous montrer encore plus efficaces que d'habitude ! Des gens arrivent de tout Hélios pour cela, les auberges vont être pleines à craquer et...
Je passe derrière elle et l'entoure de mes bras dans une étreinte réconfortante. Aussitôt, elle renonce à s'agiter. Lorsque je la sens suffisamment calmée, je reprends ma place :


— Cesse de t'angoisser, ton coeur en pâte d'amande ne va pas le supporter. On va gérer la tournée, fais-moi confiance. Réjouissons-nous, c'est une excellente nouvelle pour ton commerce. Pour ma part, je suis excitée comme une puce ! On va pouvoir se réapprovisionner en ingrédients rares et échanger nos recettes contre quelques spécialités exotiques.

La Passeuse de Mots - Tome 1 [Sous Contrat d'Edition Hachette Romans]Where stories live. Discover now