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Quand le vent souffle fort comme aujourd'hui, j'aime rester dehors. Assise sur la balancelle installée dans mon jardin, je profite de la sensation du vent qui s'engouffre dans mes cheveux, qui s'envolent dans tous les sens.
Aujourd'hui est un jour particulier pour moi, je fête un anniversaire, qui n'est pas joyeux. Il n'est pas triste non plus. Il est le jour de ma libération, le jour où j'ai su la signification du mot libre.

Je n'ai que vingt deux ans. Et pourtant j'ai l'impression que j'ai déjà vécu une vie. Une vie de malheur. Mais je sais aussi, que j'ai encore du temps pour la rendre belle, enfin.

Pourtant je n'y arrive pas. Je ne peux exprimer mes envies, mes passions, mes joies, mes peurs. Je ne suis pas muette, non. Je n'arrive pas à parler. Malgré les nombreux psychologues que je vois. Ma tante qui s'occupe de moi depuis deux ans maintenant, à tout fait pour me venir en aide. Je voudrais tant lui faire plaisir. Ne plus voir cette tristesse au fond des yeux, cette pitié que je lui inspire à chaque fois qu'elle pose le regard sur moi.

-Clara? Tu es prête ma chérie?

Je hoche la tête, non je ne suis pas prête mais ai-je le choix? Non, je me suis promis d'aller au bout de ce combat. Pour moi, mais aussi pour les autres. Ces filles, ces femmes qui comme moi ont été victimes de deux monstres. Mes parents.

Les abords du tribunal sont envahis par les journalistes. Je savais que l'histoire était très médiatique. Le sordide attire. Moi il me répugne.
Pourtant il a été mon quotidien pendant 20 ans. Enfin, bébé je n'en ai pas souvenir, mais j'image que mes géniteurs n'étaient pas des parents aimants.

-Monstre!! Tu devrais être morte!!

Je ne me retourne pas, je cours vers la porte où mon avocat nous attends. Les gens pensent que je suis responsable. Que je suis complice des horreurs qu'on fait mes parents. Ils ne savent pas ce que j'ai vécu, personne ne le sait, seul eux et moi le savont. Et ni l'un, ni l'autre ne le diront jamais.
Comment raconter l'inimaginable? J'ai peur de passer pour une mythomane. Pourtant mon corps porte encore les marques de cette vie de souffrance.

Le banc du premier rang est libre. Il est destiné aux familles des victimes. Elles ne sont pas encore arrivés, tant mieux, je n'aurais pas voulu passer devant eux. Voir la haine dans leurs regards me térrifie.

Je vais m'asseoir près de mon avocat. Tête baissée, j'attends. Le greffier nous annonce l'arrivée de la cour. Je me lève, la tête toujours basse.
Les accusés suivent. Je ne relève toujours pas les yeux. Je suis incapable de les regarder. De les affronter.

Le juge commence à énumérer les chefs d'accusation, j'ai la nausée. Je ne suis pas à ma place, les gens ont raison, j'aurais dû empêcher ça. J'aurais au moins pu essayer.

La porte de la salle s'ouvre. Tout le monde retient son souffle, même le juge arrête de parler.
Je me retourne discrètement, un homme très grand, avec des cheveux noirs, des yeux noirs, un regard plus noir encore. Il est très élégant, très beau aussi, fait son entrée. Bien sûr,je le reconnais.

C'est le patron, le chef de la mafia. Il vient d'Italie. Il vient réclamer vengeance pour la mort de sa petite soeur.
Je me souviens d'elle. Elle était très belle aussi. Je ne sais pas comment elle a succombé. Mais je sais qu'elle a souffert. J'entends encore ces cris. Longtemps ils m'ont suivis dans mes cauchemars. A tous. Tous ce que j'ai connu. Que j'ai entendu.

Le juge reprends son monologue. La tension est palpable. Mes parents regardent droit devant eux. Comment font-ils pour pouvoir regarder les gens? Comme ci ils n'avaient rien à se reprocher. J'ai le sentiment d'être plus coupable qu'eux alors que non. Je suis une victime, mon seul tord? Être encore en vie.

Les familles des victimes passent à la barre. Je les écoutent raconter la disparition de leurs proches. Leurs douleurs me fait mal. Ai-je le droit de pleurer? Ai-je le droit de partager leurs peines? Eux ne le pensent pas.
La froideur de leur regard me glace les os. Je voudrais être loin.

Le juge annonce une pause pour déjeuner. Je souffle. Je laisse les gens sortir, je ne veux pas passer devant eux, j'ai peur.
Mes parents sont eux aussi emmenés, pourquoi ne sont-ils pas morts pendant l'assaut? Tout aurait été tellement plus simple. J'aurais pu partir dans une ville où personne ne me connaissaient, j'aurais pu commencer à vivre ma vie, peut être. Je sais que je ne pourrais jamais oublié cet enfer, mon enfer. Il me poursuivra dans mes rêves, mes cauchemars jusqu'à la fin de la vie. Mais loin, j'aurais pu faire semblant. Semblant que rien de tout ceci était réel.

Je ne peux rien avaler, ma tante me gronde. Je lui souris faiblement. Mais quand je relève la tête, un homme est face à moi. Une arme à la main, il me menace.
Je pris intérieurement pour qu'il me tire dessus. Pour que tout ceci se termine, enfin.

Je ferme les yeux, prête pour ma sentence.

-Lâche cette arme, où je te tue!

Le patron est là. Dans son costume impecccable. Il braque lui aussi une arme, mais sur mon agresseur.

-Elle a tuée ma fiancée!
-Non, ses parents l'ont tués, pas elle.
-Elle n'a rien fait.
-Regarde là! Qu'aurait-elle pu faire?

L'homme baisse son arme. Tombe à genoux et pleure. Je sens mes larmes couler le long de mes joues. Je ne supporte plus la douleur de tous ces gens, elle me broie le coeur. Je me saisis de son arme. Personne ne me regarde. Je lève le bras, mets le canon sur ma tempe.

-Pardon.

Si fragile et pourtant si forteWhere stories live. Discover now