S'enfuir pour vivre

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Rappel aux petits curieux : si vous lisez ce carnet, ne m'en parlez jamais. Jamais.

Eliss ne me lâche plus. Elle me fait rire aux éclats, rallume quelque chose dans mon cœur.

Mais moi, je n'arrive pas à oublier Samantha.

Ondine dit que j'ai peur. Ouais, peut-être. Peut-être bien, que j'ai peur.

Je suis ce genre de fille qui aime bien que tout soit prévu, qui est terrifiée par le changement, qui veut garder la même vie éternellement. Le genre de fille qui ferme les yeux sur les problèmes, aussi.

Ce genre de fille qui écrit dans des dizaines de carnets à la fois et qui adresse des messages à des lecteurs fantômes.

Ce genre de fille qui a peur de découvrir des choses, de lâcher prise, de s'envoler.

Je suis Églantine, la fille au nom bizarre, aux parents divorcés, à la mère partie on ne sait pas vraiment où, au père là mais pas trop quand même, avec une sœur magnifique et lumineuse, avec un frère tout mignon et imbécile, avec la même amie depuis la maternelle.

Églantine, celle qui vit avec les chevaux, qui ne parle que de sa ponette.

Je suis Églantine, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie.

Pas du tout ?

• • •

Églantine esquissa un sourire excité et enfila rapidement un manteau. Elle ouvrit la porte et immédiatement, le vent s'engouffra dans la maison. Ondine hurla un « il fait froid ! » furieux. Zéphyr se précipita vers sa sœur.

— Tu vas où ?

Répondre n'était pas nécessaire, on le devinait par la tenue de la jeune fille. Zéphyr le comprit très vite et repartit devant la télé qui diffusait Les Cités d'Or. À croire qu'il ne faisait que ça : regarder les dessins animés.

Églantine referma la porte et enfourcha son vélo. Elle pédala à toute vitesse, poussée par le vent et son impatience.

Elle arriva en quelques minutes, appuya son vélo contre un mur et se dépêcha d'entrer dans l'écurie. Il ne lui fallut que quelques secondes de plus pour rejoindre Fragrance et passer ses bras autour de son encolure. Elle ne dit rien, il n'y avait rien à dire. Il lui suffisait d'un geste. Elle laissa la ponette renifler ses cheveux. Elle se concentra sur son odeur, sur sa douceur.

Elle oublia le monde, là, blottie contre la jument sereine.

Une boule douloureuse se forma dans sa gorge. Ses lèvres bougèrent dans un murmure silencieux. Les mots qu'elle voudrait hurler s'échappèrent pour rejoindre les nuages.

Les pensées se bousculaient et se livraient bataille. Des sentiments flottaient autour d'elle sans qu'elle puisse les attraper.

J'y arrive plus.

Fragrance s'ébroua pour chasser les mouches. Ou la détresse de son amie ? Ou les deux ?

Églantine soupira et recula. Elle prit le licol suspendu près du box et le passa autour de la tête de la ponette. Avec la longe, elle forma des rênes. Puis elle posa ses mains sur le dos de sa plus proche alliée.

— Prête, Fragrance ? On va oublier tout ces problèmes.

Elle sauta sur le dos de la ponette. Ses mollets pressèrent ses flancs et voilà, elles partaient.

D'un pas tranquille, elles sortirent de l'écurie.

— Églantine ! T'as pas oublié quelque chose ?

La jeune fille haussa un sourcil. Arthus la rejoignit et lui tendit sa bombe.

— Je vais pas tomber. C'est Fragrance.

Jamais Fragrance n'avait mis à terre un cavalier.

— On sait jamais.

Ses mèches blondes tombaient devant ses yeux. Il jeta un œil à Zénith, son hongre grognon. Maladroitement, il laissa le casque à Églantine, avant de partir sous le regard amusé de cette dernière.

— Il est marrant, Arthus, fit-elle en attachant sa bombe. Il est sympa.

Fragrance souffla et reprit sa marche. Elle connaissait le chemin et se dirigea seule vers le sentier qui menait vers la forêt. Sa tête se balançait de haut en bas alors qu'elle marchait activement. Églantine ferma les yeux, respirant l'odeur de sève, écoutant les mélodies des oiseaux et les feuilles qui craquaient sous les pas de la jument. Les branches frôlaient ses bras. Ses mains empoignèrent la crinière cendrée de Fragrance. Elle rouvrit les yeux et se pencha en avant.

— On y va ?

Le chemin de sable s'élargit. Il semblait s'étendre à l'infini.

Jusqu'au bout du monde...

Églantine se redressa. D'un mouvement, elle intima à la jument d'accélérer. Fragrance s'élança au trot.

Tout en chantonnant l'air de Balance ton quoi, elle fit le vide dans sa tête. Elle ne pensa plus qu'au moment présent.

Sans prévenir, mais avec une douceur dont elle seule avait le secret, la ponette bondit au galop. Sa cavalière rit et écarta les bras. Elle laissa son amie la porter, s'envoler et prendre de la vitesse. Ses cheveux devant son visage brouillaient sa vue et le vent sifflait dans ses oreilles.

Le temps s'immobilisa ou s'enfuit à toute allure, nul ne pourrait clairement affirmer ce qu'il se passait.

Églantine, elle, ne voulait pas s'en préoccuper.

Elle vivait.

Et quand on vivait, le temps importait peu.

Apprivoiser les NuagesWhere stories live. Discover now