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Marius a été le premier. Un soir dans l'ascenseur. Nos regards se fuyant avec cette politesse significative d'une cordialité entre deux étrangers cohabitant dans le même immeuble. Un arrêt brusque, une lumière grésillant. Nous l'avons compris simultanément: une panne.

Il s'est mis à haleter avec peine, sa poitrine se soulevait frénétiquement, comme à la recherche d'oxygène qui ne manquait en réalité pas. Ses mains tremblaient et ses jambes se sont effondrées sous son poids. Cet inconnu agonisait devant moi, sans la moindre raison. Et je ne pouvais pas le rassurer, pas le résonner, pas lui parler. Je ne pouvais même pas appeler les secours sans son aide. J'ouvrais la bouche mais rien n'en sortait. La terreur d'imaginer un adolescent de mon âge mourir devant moi me saisit à la gorge, comme lui, la peur se mettait à gangrener peu à peu mes pupilles. Nous étions chacun le miroir caricatural de l'autre.

J'étais debout, le dos plaqué contre les portes automatiques qui refusaient de s'ouvrir et je me suis soudain vue. Ou plutôt mon reflet, dans la glace face à moi, recouverte de traces grasses de doigts.. J'étais ridicule. Cette situation était absurde, ma réaction était irréaliste alors que la sienne était vraie. Il avait peur. Je ne savais pas pourquoi, mais cela était-il réellement important?

Alors je me suis baissée à genoux face à lui. J'aurais aimé prononcer des paroles réconfortantes mais mes cordes vocales restaient inertes. Je remuais ma bouche, espérant qu'il lise sur mes lèvres. Mais il ne me voyait pas. Ses iris verts étaient pourtant fixés sur moi, mais je n'étais pas là. J'étais invisible pour lui. Il ne ressentait que l'oppression, la panique et l'angoisse. Je n'appartenais plus à sa réalité. Je faisais désormais partie de ces fantômes qui n'avaient laissés pour seule preuve de leur passage des traces de doigts sur le miroir.

Que pouvais-je faire d'autre s'il ne pouvait m'entendre et ni ne pouvait me voir?

Je n'ai pas réfléchi d'avantage et je l'ai serré contre moi. Comme un enfant venant de faire un cauchemar. Il eut un soubresaut, mais je ne l'ai pas lâché. Son visage était caché dans mes cheveux, sa respiration arrivait dans mon oreille et me chatouillait. Et, contrairement à toute idée logique, son rythme cardiaque s'est doucement calmé. Ses tremblements ne relevaient plus de spasmes. Et son souffle ralenti, doucement, avec peine et lenteur, mais inexorablement.

Il aurait été normal de ma part de m'écarter enfin de cet inconnu, mais je n'ai pas bougé. J'étais aussi figée que lui, terrorisée par l'idée de croiser son regard après ça. Il ne m'a ni prise dans ses bras ni repoussée, et pourtant je savais qu'il avait repris possession de ses esprits. Le temps passa, les secondes, les minutes, les heures. Les fourmis grouillaient dans mes jambes, mais j'étais devenue une statue de sel. Et lui aussi.

Finalement, les portes finirent par s'ouvrir de nouveau, nous libérant de cette prison cubique. Nous nous sommes doucement séparés avant de nous mettre debout et de sortir l'un après l'autre dans un silence de mort.

Nous n'avons jamais reparlé de notre rencontre. Ou plutôt, « il » ne m'en a jamais reparlé. Parfois, j'aime mon silence éternel, car la parole est de toute évidence le présent le plus vicieux qui a été offert à l'humanité.

Cinq OctavesWhere stories live. Discover now